l’ayurvéda,« Science de longue vie »
« J’ai testé l’ayurvéda »
*Cette médecine ancestrale indienne, « Science de longue vie », serait-elle la réponse à notre mode de vie occidental miné par le stress ? Notre reporter a voulu en savoir plus. Elle est partie au Kerala, haut lieu de l’ayurvédisme, pour y suivre une cure de vitalité. Elle en est revenue toute neuve. Elle raconte. Ômm !
C’est donc ici que les heureux du monde viennent se refaire une santé ? Quatre heures déjà que nous roulons depuis l’aéroport, dans la verte campagne du Kerala, en Inde du Sud. À la sortie du village de Kollengode, le Kalari Kovilakom a surgi : un palais magnifique, construit en 1890 par la reine Dhatri Valia de Vengunad, aujourd’hui dédié à l’une des plus anciennes médecines du monde, l’ayurvéda.
En guise de bienvenue
Aux côtés d’une jeune femme en sari, un homme m’accueille sur le perron. Il est grand, beau, porte de longs vêtements, kurta et dhoti d’un blanc immaculé, et arbore une moustache généreuse comme la plupart des Indiens. Tout sourire, il m’asperge d’eau fraîche et me pare d’un collier de jasmin. « Bienvenue au Kalari, je suis Manni, le régisseur. » À sa demande, je lui remets mes sandales pour enfiler des tongs en paille de riz offertes par la maison : ici les chaussures en cuir sont considérées comme impures. J’apprends que seront prohibés également, pendant tout le séjour, le tabac, le thé, le café, l’alcool, la télévision, la radio et la musique, ainsi que toute sortie à l’extérieur du palais. Le téléphone mobile, lui, est toléré, mais uniquement dans les chambres. « Le Kalari Kovilakom est un véritable hôpital ayurvédique, souligne Manni, les pensionnaires sont donc invités à observer le règlement intérieur. » Il comprend l’obligation de se vêtir exclusivement d’une kurta – pyjama blanc fourni par l’établissement. En suivant Manni jusqu’à ma chambre, je croise dans le hall un écriteau : « Now, let your world behind you. » (« Maintenant, laissez le monde derrière vous »). On ne saurait être plus clair.
Huiles de la tentation, senteurs charnelles, rouges incendiaires, tactiques de pros et artifices de grandes séductrices : la Vénus Erotica, c’est vous…
Une partie de la pharmacopée ayurvédique 100 % naturelle, provient des jardins de ce lieu hors du temps.
Première consultation
« Tout d’abord, nous allons déterminer votre “prakruti”. » Dans son joli bureau avec vue sur le jardin, le docteur Jouhar m’explique les principaux fondements de l’ayurvéda. À la fois médecine naturelle et philosophie de vie, cette science complexe est née en Inde il y a plus de cinq mille ans. Pour faire simple, ses préceptes permettent à l’être humain de rester en bonne santé et de mener une vie harmonieuse en éprouvant du plaisir à vivre. Comment ? En observant l’hygiène de vie (alimentation, yoga, méditation, sommeil) correspondant aux besoins de la constitution donnée à chacun par la nature. Selon l’ayurvéda, nous sommes dotés à la naissance de trois énergies fondamentales, les doshas, lesquelles gouvernent toutes nos fonctions vitales. Connues sous les noms sanskrits de vata (espace et air), pitta (feu) et kapha (eau et terre), elles coexistent en chacun de nous selon une combinaison unique, qui signe notre constitution spécifique sur les plans physique, émotionnel, intellectuel et spirituel. Lorsque leur équilibre est préservé, santé, longévité, bien-être sont au rendez-vous. Lorsqu’il est rompu (par notre façon de vivre, notre alimentation, le stress…), troubles physiques, psychologiques et maladie(s) surviennent.
Déterminer son prakruti, sa nature profonde, est donc l’étape numéro un de la médecine ayurvédique. Le Dr Jouhar me soumet à un feu roulant de questions, parfois très inattendues. Mon parcours santé, mes antécédents familiaux, mon mode de vie, mais aussi : quels sont mes goûts préférés (acide, sucré, salé, amer, pimenté, astringent), suis-je optimiste ou pessimiste, la puissance de ma voix est-elle faible, moyenne ou forte, quelles sont mes réactions face à l’échec, ai-je tendance à m’exprimer de façon claire ou confuse ? Puis il m’ausculte longuement : pouls, tension, examen de la langue, des yeux, des oreilles, de la peau, des ongles… Verdict : je suis de constitution vatapitta et je souffre d’un déséquilibre vata-kapha, à l’origine de mes manques de concentration et de détermination, et des états de fatigue intense dont je souffre depuis quelque temps. Rendez-vous est pris le lendemain pour commencer une cure détox ou panchakarma.
À LA DIÈTE. Saveurs amères, astringentes ou goûts acides et pimentés : à chacun son menu végétarien.
À table !
18 h 30. La cloche du réfectoire sonne à la volée, un cortège de pyjamas blancs envahit la galerie extérieure qui sert de salle à manger. En vêtement traditionnel, un serveur muni d’une aiguière en cuivre vient rafraîchir les mains des pensionnaires. Chacun reçoit son repas présenté sur un plateau : sur une feuille de bananier, un menu établi pour soi chaque jour par le médecin. Saveurs amères pour l’un, astringentes pour l’autre, goûts acides et pimentés pour celui-ci, et régime végétarien pour tout le monde. À côté de moi, Denise. Elle vit aux Bahamas, où elle s’occupe d’investissements. Un jour à Londres, l’autre à Singapour, sa vie la passionne. Distinction naturelle, silhouette impeccable, visage à peine froissé et regard plein de malice, elle affiche une cinquantaine rayonnante. « J’ai découvert cet endroit il y a trois ans. Je venais de divorcer, la ménopause me guettait, j’avais besoin de me retaper. Depuis, j’ai complètement changé d’alimentation, de mode de vie, et je reviens chaque année. Grâce à cela, j’ai l’impression de bien vieillir. » Il fait 40°C à l’ombre, les ventilateurs tournent à plein et le serveur nous apporte une infusion brûlante de gingembre. « Un diet Coke, les filles ? » lance Denise dans un éclat de rire général. Les repas sont des moments de convivialité dans une cure éminemment solitaire.
Le Ghî
Denise m’a prévenue, une cure ayurvédique commence toujours de la même manière : pendant plusieurs jours, on boit du ghî. C’est un liquide sirupeux qui dégage une bouffée d’odeurs aigres et qui inspire à mon corps un puissant mouvement de répulsion. Du beurre clarifié mêlé d’herbes que je vais devoir avaler chaque matin d’une traite, sous l’oeil attentif du Dr Jouhar. « Les toxines accumulées dans votre organisme perturbent l’équilibre de vos doshas, les empêchent de circuler correctement, m’explique-t-il. Le ghî désincruste les impuretés figées entre vos cellules, les fluidifie pour faciliter leur évacuation. Cette étape, que nous appelons oléation, prendra fin lorsque votre organisme exprimera sa saturation. » Drôle d’expérience. Avaler cette substance (dont le volume augmente jour après jour), c’est plonger dans un état de malaise permanent. Les uns vont souffrir de migraines, d’insomnies, connaître des bouleversements émotionnels, des crises de larmes. Les autres se sentiront nauséeux (et devront s’abstenir de vomir), patraques. J’ai mal partout, je ne sais plus comment me tenir, comment je m’appelle ni comment me débarrasser de cette odeur tenace : je sens, je suinte, je transpire, j’exhale le ghî…
PAIX DE L’ESPRIT. Tous les jours, mantra, relaxation, yoga et massages pacifient l’activité du mental et diminuent les crispations du psychisme.
Quatre jours plus tard, le bon Dr Jouhar estime que je suis assez imprégnée. S’ensuit une diète de quarante-huit heures avant de passer au purgation day, grâce auquel je me retrouve avec un appareil intestinal aussi propre que celui d’un nouveau-né. Je suis prête à recevoir les traitements. Janisha a 23 ans, elle est toute petite et respire la joie de vivre. Janisha est chargée de m’administrer deux fois par jour les massages et les traitements prescrits par le Dr Jouhar. Pour avoir suivi elle-même une cure au Kalari (tous les employés de l’établissement, physiothérapeutes, cuisiniers, serveurs ou employés administratifs, y passent), elle sait à quel point certains soins peuvent être éprouvants.
**Ma petite « maman »
Alors elle me dorlote comme si j’étais sa petite fille. Janisha, ma petite maman. Janisha qui me fait asseoir sur un tabouret pour badigeonner mon corps à l’huile de sésame, en insistant toujours sur le sommet du crâne, la paume des mains, la plante des pieds. Qui m’installe ensuite sur une table en bois sculpté pour me pétrir vigoureusement – comment un petit bout de femme pareil peut-il avoir autant de force ? Qui se fait parfois assister par une autre masseuse pour exercer avec elle une danse musclée sur toutes les voies de circulation énergétiques que compte ma pauvre carcasse. But des opérations ? Drainer mes doshas en excès vers mes organes d’élimination. « Happy ? » me lance, espiègle, celle qui est devenue ma complice, tout en frappant mon corps avec des pochons remplis d’herbes et trempés dans l’huile chaude. Les massages ici sont étonnants. Le plus spectaculaire, et aussi le plus connu, a pour nom sirodhara : il consiste à faire couler sur le front du patient un lent filet d’huile de sésame chaude additionnée de plantes. Effet planant garanti.
À l’aube, le mantra…
« Om shanaa vavatu/shana bhunaktu… » Il est 5 h 45, le soleil n’est pas encore levé, l’air est déjà chaud. Comme chaque matin, on récite en choeur un mantra en introduction de la morning yoga class. Parties intégrantes de la médecine ayurvédique, yoga et méditation sont proposés au Kalari plusieurs fois par jour. Suzan, 40 ans, venue du New Jersey, ne manque aucune de ces séances : « Il n’y a rien de mieux pour détendre et équilibrer le système nerveux ! » Apaiser son esprit, pacifier l’activité de son mental, diminuer les crispations de son psychisme : telle est la vocation de ces séances de relaxation où l’on apprend à développer son attention, sa conscience et sa concentration. Plutôt réticente aux méthodes revendiquant une dimension spirituelle, je découvre l’intérêt des exercices respiratoires (pranayama). Ceux-ci consistent à observer une respiration consciente et régulière. « Plus vous vous concentrerez sur votre respiration, moins vous serez gênés par les vagabondages de votre esprit », explique Kavitha. Selon l’ayurvéda, l’esprit fonctionnerait de la même manière que le système digestif : il métabolise les éléments qu’il ingère – les sensations, les émotions, les pensées qui se présentent à lui –, les transforme et élimine les déchets. Lorsqu’il fonctionne mal, il stocke et se retrouve peu à peu victime d’indigestion. Ce qui se traduit par de l’agitation, des pensées désordonnées de l’anxiété, de la morosité. « Yoga et méditation contribuent au bon fonctionnement de votre esprit. Ils lui offrent le moyen de se purifier naturellement », assure Rashmi, le professeur de yoga.
*ZEN AT TITUDE. Diane Wulwek (à droite) et ses « copines de cure », Gaby et Françoise profitent du jardin.
On s’occupe
Entre les soins, on se promène dans le jardin, magnifique, qui fournit une partie de la pharmacopée ayurvédique, 100 % naturelle, utilisée dans les traitements. Des manguiers gigantesques proposent leur ombre, des papillons butinent dans les fleurs, les martins-pêcheurs batifolent dans les bains sacrés où l’on va, le soir, nourrir les poissons pour « apprendre à donner sans recevoir ». S’il fait trop chaud, on file à la bibliothèque, seul endroit climatisé du palais (avec les chambres). Le soir, après le dîner, sont donnés des spectacles : concerts, danses traditionnelles indiennes et démonstrations de kalaripayatt, un art martial kéralais dont les physiothérapeutes (hommes et femmes), qui le pratiquent tous les matins dès 6 heures, tirent leur force. Et puis, il y a les conférences où médecins et professeurs de yoga viennent exposer leur vision de la médecine ayurvédique. Une occasion pour les pensionnaires de poser toutes les questions qu’ils souhaitent.
Les pensionnaires
Au Kalari Kovilakom, les préceptes de l’ayurvéda sont appliqués à la lettre, et lorsque l’on suit un panchakarma, toute activité physique en dehors du yoga est déconseillée. Comme dit le Dr Jouhar : « On essore votre organisme comme une serpillière. Il est inutile voire dangereux, de le fatiguer davantage. » Idem, les bains de soleil sont interdits parce que trop énergivores. Ici largement majoritaires, les Occidentaux semblent convaincus par la médecine ayurvédique. « Elle soigne le terrain, prévient les maladies », confie Gaby, 50 ans, épouse d’un banquier genevois, qui tient à distance un début d’arthrose grâce à ses séjours annuels. « Et puis, j’ai le sentiment de faire un investissement sur l’avenir. »
Et après ?
Les jours passent et je me sens comme réenchantée, habitée par une énergie nouvelle, à la fois puissante et tranquille. Intérieurement, j’ai l’impression d’être plus tolérante, plus indulgente avec les autres comme avec moi-même. Je me surprends à sourire à la vue de choses anodines auxquelles je n’aurais hier pas même prêté attention. « On apprend ici à laisser parler son coeur, en tout cas à l’écouter. Et développer son empathie fait un bien fou », me dit Denise. La veille de mon départ, le Dr Jouhar me fait part d’un paquet de recommandations à suivre si je veux maintenir l’équilibre de mes doshas. Bien que contraignantes (pas plus de sept heures de sommeil par nuit, me lever au minimum trente minutes avant le soleil, éviter les aliments et les boissons froides, opter exclusivement pour des aliments amers, astringents et épicés, éviter tous les laitages, pratiquer yoga et exercices respiratoires tous les jours…), j’ai très envie de les suivre. Je suis devenue une convertie. (Figaro-Madame. 17.07.2010.)
*****************
Well, all things considered…