Parents dépassés, salariés stressés, ados en crise : les thérapeutes ne chôment pas
*Ces psys qui changent notre vie
Parents dépassés, salariés stressés, ados en crise : les thérapeutes ne chôment pas. Les Français se tournent vers la psy au quotidien, qui apaise les angoisses et guérit les petits bobos.
Valentine avait 4 ans lorsqu’elle a vu un psy pour la première fois. Trop de colères, de cauchemars à répétition, et de pipis au lit ont décidé ses parents à «consulter», comme on dit encore avec une vague pudeur. En CE2, rebelote. Cette fois, c’est la maîtresse qui conseille aux parents de Valentine d’aller voir la psychologue scolaire. Motif:l’enfant peine à se concentrer en classe. Avant la fin du primaire, Valentine avait vu trois spécialistes différents. Aujourd’hui, à 17 ans, en pleine crise d’adolescence, elle ne veut plus entendre parler de psychothérapie. C’est pourtant le moment où elle en aurait le plus besoin, déplorent ses parents, qui tentent doucement de «la faire changer d’avis». En attendant, ils se font épauler par un psy pour faire face à la rébellion de leur fille.
Ainsi va la société française:elle consulte. Plus de 5 millions de Français auraient déjà frappé à la porte d’un psy, si l’on en croit un sondage réalisé par l’institut CSA il y a quatre ans (1) – le plus récent sur le sujet. Jamais on n’a autant publié d’ouvrages de psychologie et de psychanalyse:plus de mille titres sortent chaque année, allant des livres pratiques de coaching et de développement personnel aux ouvrages savants. Si beaucoup restent confinés à un public de spécialistes, certains sont des mines d’or pour les éditeurs – Odile Jacob, éditrice de Boris Cyrulnik, ou Anne Carrière, celle de Marcel Rufo, en savent quelque chose !
L’œuvre de Freud étant tombée dans le domaine public en janvier dernier, les Editions du Seuil viennent de rééditer ses trois ouvrages les plus connus (2) dans une nouvelle traduction, plus moderne et plus accessible. Le succès est au rendez-vous. Sur la toile, blogs de psys et forums de patients fleurissent. Tous les grands psys ou presque ont un site à leur nom. Les psychanalystes ont ouvert le leur, baptisé – bien sûr – Rdipe.org… Tout un programme.
On savait déjà que la France détenait depuis longtemps le record mondial de consommation de psychotropes. Mais la passion nationale pour les psychothérapies est plus récente. Arnaud de Saint Simon, directeur de la rédaction de Psychologies Magazine, date cet engouement de la fin des années 90, lorsque la psychologie est sortie d’un certain ghetto intellectuel. «Avant2000, explique-t-il, on n’osait pas dire qu’on allait chez le psy. Aujourd’hui, le tabou est levé. C’est même un peu l’excès inverse.» Totalement réorienté vers l’épanouissement personnel, le conseil et le coaching, avec force témoignages et infos pratiques, le mensuel affiche un tirage insolent : plus de 300 000 exemplaires, contre à peine 100 000 il y a dix ans.
Sommes-nous tous en souffrance? Pas sûr. «Avant, aller chez le psy, c’était être fou; aujourd’hui, on lui demande de soigner tous nos petits bobos», décrypte sur son blog le psychiatre Christophe Fauré. Marie Trastour, une jeune psychologue clinicienne, confirme:«On sent très clairement monter cette demande dans des milieux favorisés. Les exigences sont fortes, poussées par une quête du bonheur avec un grand B!»
Mais aller voir un psy n’est plus seulement l’apanage de jeunes urbains aisés en quête de réussite (encore la majorité des patients, selon le sondage CSA). Les thérapeutes voient débarquer dans leur cabinet ou à leurs consultations à l’hôpital un nombre croissant de personnes d’horizons très divers, qui ont été touchées par un livre, une émission ou un article. Une forme de désinhibition favorisée par internet, où s’effectue une grande partie des achats de livres sur la psychologie. «Les gens n’ont plus peur d’aller voir un psy, explique le psychiatre Christophe André. Ils viennent y chercher des compétences pour comprendre une société plus complexe, plus fluide et plus mobile qu’autrefois.»
Même son de cloche chez les éditeurs qui surfent sur la vague:«On constate à la fois, dans la société, une injonction de réussir sa vie, son couple, ses enfants, et on s’autorise moins de proximité ou de compassion dans les moments difficiles», explique Mathilde Nobécourt, responsable de collection chez Albin Michel et psychologue clinicienne. «La psyché respire moins bien, dirait un professionnel de la profession, ajoute-t-elle en riant. Forcément, les gens cherchent un moyen pour qu’elle respire mieux.»
Parents déboussolés par des enfants turbulents, salariés dépassés par les mutations de leur entreprise, couples au bord de la rupture, ados en crise… Nous cherchons dans la psy des réponses à nos angoisses. Et, dans notre société d’hyperconsommation, nous en attendons une efficacité rapide. Plus question de passer huit ans sur un divan à fouiller dans les tréfonds de son inconscient en tournant le dos à un analyste muet. La « psychologisation de la société » est allée de pair avec le déclin de l’analyse traditionnelle. Même Woody Allen a fini par se lasser après avoir passé près de quarante ans sur le divan ! «Partout dans le monde, les thérapies en face à face l’emportent sur le divan», estime Anne Millet, auteur d’un essai cinglant sur le déclin de la pratique analytique (3). Elle y met en cause «ces psychanalystes arrogants et méprisants, plus soucieux d’approfondir la connaissance psychique du patient que de chercher sa guérison». Le philosophe Michel Onfray sonne la charge contre Freud lui-même dans un pamphlet virulent publié ce mois-ci:Le crépuscule d’une idole. L’affabulation freudienne (Grasset).
Serions-nous guettés par l’excès de psys? Certains discours de vulgarisation, la présence des praticiens à la télé pour tout et n’importe quoi, peuvent laisser penser qu’ils ont réponse à tout. Que dire de ces «cellules de soutien psychologique» dépêchées dès qu’un drame survient, y compris auprès de militaires ou de sapeurs-pompiers, pourtant en principe entraînés à faire face à la tragédie?
L’environnement culturel ajoute à cette omniscience du psy. «Dans certaines séries américaines, par exemple, la psychologie des personnages est devenue très fouillée, très complexe, cela a forcément une influence», ajoute Marie Trastour. L’usage de techniques plus ou moins obscures ajoute à l’intérêt que les malades imaginaires que nous sommes parfois portent au psychisme. Les Américains sont les champions toutes catégories de ces techniques ou recettes miracles. Bref, «à force de vouloir tout psychologiser, on oublie ce que devraient être tout simplement les rapports humains», résume Christophe André. A France Télécom, les psys dépêchés auprès des salariés après chaque suicide n’ont pu empêcher la série noire de se poursuivre. «Aucun psy ne remplacera un bon management», ajoute le médecin.
«L’offre psy a largement dépassé la demande»
Pourtant, les grandes entreprises sont de plus en plus nombreuses à proposer à leurs salariés une assistance psychologique, généralement extérieure à l’entreprise. Certaines la prennent même à leur charge. Le bien-être des cadres est à ce prix. A moins que ce ne soit la paix sociale… En mauvais termes avec son chef de service, Catherine, qui travaillait au service marketing d’un groupe pharmaceutique, se souvient avoir longtemps résisté aux pressions de sa hiérarchie pour changer de poste. Elle a fini par accepter quelques séances de « coaching » accompagnées d’un bilan de compétences. «Au bout du compte, j’ai compris qu’il fallait que je quitte l’entreprise», dit-elle, aujourd’hui soulagée d’avoir pris «la bonne décision».
Les psys concèdent qu’il est des domaines où la psychologisation est sans doute allée trop loin. Jamais Françoise Dolto, pionnière de la médiatisation de la psychanalyse à la fin des années 70, n’a été autant contestée que lors du centenaire de sa naissance en 2008. Dans Génération Dolto (Editions Odile Jacob), Didier Pleux éreinte le discours doltoïen, coupable à ses yeux d’avoir engendré des «enfants tyrans». Et le pédiatre Aldo Naouri ne dit pas autre chose, lorsqu’il renvoie les parents à leur rôle d’«éducateur». Mais ces critiques ont leurs limites. «Mieux vaut trop de psys que pas assez», disent en chœur les praticiens.
A condition de bien choisir, ce qui n’est pas chose facile face à la multiplicité des méthodes, dont certaines sont totalement farfelues, voire inquiétantes. Le 7 avril, Georges Fenech, président de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), s’est ému des risques de dérapages. «On voit des centres proliférer et offrir à la carte toutes sortes de psychothérapies alternatives mais totalement charlatanesques. Si l’on n’y prend pas garde, ils peuvent faire beaucoup de victimes.» Les psys médiatiques justifient souvent leur omniprésence par cette menace : ne pas répondre à la demande incontestable du public, c’est prendre le risque que des personnes peu compétentes ou malhonnêtes profitent du vide laissé par les professionnels.
La mode psy aurait-elle atteint son apogée? C’est ce que soutient le psychiatre Jean-Jacques Rassial, pour qui «l’offre psy a largement dépassé la demande, entraînant une banale lutte commerciale sur le marché des patients». Consommateurs experts, ces derniers ont acquis des expériences, plus ou moins bonnes, qui atténuent l’idée que ces praticiens sont capables de tout résoudre.
A l’image de François, un jeune chef d’entreprise qui a fait la tournée des psys avec son fils aîné Grégoire, pris de hurlements toutes les nuits. Classiques peurs nocturnes ou troubles liés à l’arrivée d’un petit frère ? «Certains avis frôlaient l’incompétence!» s’étonne-t-il rétrospectivement. Sept ans plus tard, Grégoire était toujours très anxieux. Nouvelle visite chez une pédopsychiatre qui, très vite, met le doigt sur un traumatisme vécu par l’enfant lorsqu’il avait à peine 18 mois : l’agression de son grand-père sous ses yeux. A l’époque, la psychologue de la police avait affirmé qu’il ne se souviendrait de rien ! «La pédopsy nous a dit: voilà, c’est terminé», se souvient François. Depuis, Grégoire va bien. Et, si son petit frère est turbulent, son père se refuse à consulter:«C’est trop facile d’aller voir un psy pour compenser sa faiblesse d’éducation.» Parole d’orfèvre. (Le Figaro-Mag.16.04.2010.)
***Marcel Rufo : «Nous sommes les docteurs des soucis»
Le célèbre pédopsychiatre défend la psychanalyse – «une discipline fondamentale de la connaissance humaine» – et explique sa méthode toute personnelle avec ses jeunes patients : empathie sensible et traitement en profondeur.
*Le Figaro Magazine-Pourquoi la psychanalyse freudienne est-elle actuellement si fortement remise en cause?
Marcel Rufo- Parce que Freud a vécu entre les XIXe et XXe siècles et que la société a énormément évolué. Pour autant, il demeure le Christophe Colomb de notre pensée. Explorant le continent inconscient, il a mis en lumière la psychopathologie de la vie quotidienne. Son génie est d’avoir dit qu’un lapsus, un rêve, un acte manqué «signifient». Découverte essentielle dans un monde où toutes les religions sont fondées sur l’inconscient. La catéchèse à 6 ans intervient lorsque l’enfant est en pleine phase de latence : son envie d’apprendre est alors au maximum. La communion, la bar-mitsva, les rites initiatiques des peuples premiers arrivent au moment de l’autonomie. Les religions suivent donc le développement psychomoteur.
Sigmund Freud a mis en mots ces réalités cryptées, lesquelles sont désormais passées dans le vocabulaire courant. Lui qui n’était pas particulièrement prodigue de son argent a su financer les recherches d’anthropologie psychanalytique de l’ethnologue Géza Róheim, en Australie, d’où il est ressorti que les Aborigènes avaient les mêmes rituels de circoncision que la gentry juive viennoise de l’époque. Là où je défendrai toujours l’ouverture de la porte freudienne, c’est la notion universaliste.
*On lui reproche pourtant d’avoir dogmatisé ses propres failles…
Mais il est l’héritier de la pensée des Lumières et, surtout, il va chez Charcot, qui met à la Salpêtrière des hystériques en représentation, des anorexies mentales avec ventre en obusier. Freud, qui étudiait le comportement dilatateur des insectes, estimait que l’hystérie était plus intéressante dans les manifestations cliniques sans cause. C’est là où il est fabuleux : il cherche une cause lorsqu’elle n’est pas médicale. Il renverse la donne du sens, de la signification par rapport à la clinique. L’Anglais Donald Winnicott reprend cela à merveille lorsqu’il explique la différence entre un pédiatre et un pédopsychiatre. Le pédiatre trouve un symptôme. Il lui en faut un deuxième. Un troisième. C’est un syndrome. D’où diagnostic et traitement. Le pédopsychiatre, lui, ne doit pas s’intéresser au symptôme pour, éventuellement, en saisir le sens. Imaginez les 180 degrés de cette pensée ! La psychanalyse demeure donc une discipline fondamentale de la connaissance humaine.
*Mais le XXIe siècle fait désormais la part belle aux techniques des comportementalistes. Que vous inspire cette modernité?
De nombreux internes penchent pour le cognitivo-comportementalisme, qui a l’avantage de l’immédiateté et de l’efficacité. Mais il ne faut pas désespérer qu’ils se mettent à réfléchir.
*Que voulez-vous dire?
Je vais être basique et m’en excuse par avance. Imaginez que vous soyez avocat, que vous travailliez à Wall Street. Vous avez peur de l’ascenseur. On monte avec vous jusqu’à votre étage. Bravo ! Mais la question reste posée : pourquoi avez-vous eu peur ? «Are you OK? -Iam OK!» Tel est le comportementalisme, qui répond à notre impulsivité, notre rapidité.
Dans les phobies, par exemple, il est efficace en diable, mais pour décrypter une telle pathologie, il faut du temps, un traitement en profondeur est onéreux et parfois pénible, d’où la réaction:«Pourquoi ne pas guérir la gêne et passer à autre chose ?» Tel n’est pas mon style de pensée. Je préfère, quant à moi, la rencontre avec les gens. Ma technique, s’il faut employer ce mot, est celle d’un clinicien. Exemple ? J’ai vu cette semaine un petit garçon qui n’était pas propre. Il a 2 ans et demi. Il fait sur lui. Je l’observe. Puis je m’adresse soudain à lui:«Tu sais, maintenant, il y en a assez que tu fasses le bébé alors que tu es un grand garçon.» Il se fige. Me regarde. Je poursuis:«A partir de maintenant, je demanderai régulièrement de tes nouvelles à tes parents. Tu as bien compris?» Il ne répond pas. «Dis-moi seulement oui ou non.» Il esquisse avec sa main un geste de tapotement indiquant qu’il a parfaitement saisi. J’ai attendu le moment pour intervenir. Pratique plus phénoménologique que psychanalytique, où la conscience interroge la conscience. Certains philosophes affirmeront que la phénoménologie n’a aucun intérêt dès lors que l’enfant est un être en construction, mais ils se trompent. Moi qui ne suis qu’un modeste praticien, j’observe que les enfants sont essentiellement une conquête du temps et de l’espace. Avec des temps différents du nôtre. Songez aux vacances de votre enfance, combien elles étaient longues. Etre petit, c’est avoir un temps infini de découverte et de capacité.
*Quelle attitude avez-vous avec vos jeunes patients?
Plutôt que la neutralité bienveillante de mes confrères et amis psychanalystes, j’ai plutôt glissé vers une empathie sensible. Sans être dans une position démagogique, ou d’érotisation, je suis très intéressé par ce que me raconte l’enfant. J’ai même établi un standard particulier dans ma pratique : quand il quitte mon bureau, j’écris 20 lignes de résumé sur ce que j’ai vécu. Non pas compris, mais vécu. Puis, lorsqu’il revient, après les avoir relues, je lui parle de ce que j’ai éprouvé en le voyant. L’enfant y est sensible:il n’est pas qu’en consultation, je suis aussi en examen de ma propre sensibilité par rapport à lui. Certains hurleront à la séduction et à la manipulation, mais ce serait tragiquement réduire la portée de la chose. Si vous vous trouvez face à un psychiatre à l’air peu concerné dont le dialogue tient en quelques phrases stéréotypées, du genre : «Poursuivez… Allez plus loin dans vos pensées… Quel est le sens de votre démarche?», vous quitterez bien vite son cabinet. L’empathie est essentielle dans la rencontre. Je me souviens, tout enfant, d’avoir transgressé les interdits de ma grand-mère : nous étions dans un train, je me penchai par la fenêtre – è pericoloso sporgersi! J’ai pris une escarbille dans l’œil. Ma grand-mère m’a demandé pourquoi je pleurais. J’ai répondu : «Il y a des lumières qui s’allument dans les maisons, avec plein de gens auxquels je ne parlerai jamais.» Je mentais, bien sûr, et pourtant, je ne mentais pas.
*Ne peut-on craindre une forme d’aliénation, de dépendance de notre société à la psy?
La psy est par définition altruiste, elle couvre tous les secteurs de la société, sans exclusive, et n’est là, c’est une évidence, que pour faire le bien. Si elle ne fait pas de bien, elle ne fera en tout cas jamais de mal. Avec pour effet minimal d’éviter les anti dépresseurs prescrits par des généralistes.
Aliénation, dites-vous ? Il arrive que les parents exagèrent. Une fois par mois environ, je reçois un gosse qui n’a rien, mais qui « doit » voir un pédopsychiatre. Ma technique est alors simple. Je lui établis un certificat assurant que je l’ai rencontré : «Tes parents t’ont emmené me voir. Tu n’as strictement pas besoin de moi.» Invariablement, l’ado l’affiche dans sa chambre, signifiant à ses parents : «Maintenant, vous ne me cassez plus les pieds. Voilà ce que dit le médecin…» Parallèlement, j’observe souvent qu’un adolescent qui a affirmé n’avoir pas voulu venir est toujours là trois quarts d’heure plus tard. Parce que parler de soi, c’est intéressant. Ceux qui viennent me voir croient me livrer l’histoire la plus intéressante que j’aurai entendue de ma vie. Et moi, je suis dans la position d’accepter cette démarche. La plus belle définition de mon métier, c’est un petit garçon de 5 ans qui me l’a proposée. Il m’a dit:«Toi, tu es le docteur des soucis.»
*Parmi les mutations de la société, on citera la crise de l’autorité, qui ne peut que vous apporter des patients…
Oui. Il est interdit d’interdire ! C’est terriblement psychanalytique, Mai 68, avec le meurtre du père, en l’occurrence, le général de Gaulle : «Notre bonheur ne dépend pas de toi qui nous a sauvés il y a bien longtemps, pendant la guerre.» Le message mal compris de cette période, ce sont les babas cool des Cévennes et du Luberon. «Balade-toi dans les champs, ne te lave pas, ne va pas l’école!» C’est idiot. Freud disait qu’il y avait des frustrations nécessaires, une société ne pouvant pas fonctionner sans limites. Voilà le débat sur l’autorité. A force d’être complices, d’être dans un jeunisme où les parents ne vieillissent plus – dites à Jane Fonda qu’elle est vieille, elle vous collera une tarte -, les ados sont en compétition, alors qu’ils ont au contraire besoin de radicalité : «Tu ne fumes pas de haschisch; tu ne t’empègues pas tous les samedis soir; tu travailles à l’école; tu n’amènes pas de copines à la maison… tu attends que grand-mère soit à Lourdes!»
Et cela, c’est le problème du père. Je suis d’ailleurs à cet égard au bord de créer un «mouvement du masculinisme»… Le féminisme a été tellement facteur de progrès, d’égalité des sexes, qu’il faut prendre garde que certains excès ne fassent du père un petit castrat accessoire:les papas poules ont besoin de psychothérapie et Trois hommes et un couffin ne sont rien moins, objectivement, que trois malades mentaux. Il y a deux espèces sur terre, les garçons et les filles, dans l’égalité certes. Mais pas pareils. Le père aime sa fille, la mère, elle, aime son fils. On parle d’Rdipe, mais n’oublions pas Jocaste !
*A propos de relations père-fille…
Oui, je vois ce que vous voulez dire : ma fille se propose quant à elle de monter une « association des enfants de psy » ! Alice a 29 ans, elle sort de Normale sup lettres et de l’ENA, elle est conseiller diplomatique au Quai d’Orsay et s’imagine que c’est toujours moi le bon élève. Cela donne une certaine ambiguïté que je cultive avec soin. Inutile de préciser que j’en suis fier comme ce marchand de Palmyre qui se fit un tombeau aussi grand que ceux des rois. Mais elle est très critique – de moi et de la psy en général. Son association revendiquerait une pension à remettre aux enfants de psys pour cause de troubles vécus durant l’enfance. Je lui ai demandé de m’expliquer. Ce qu’elle a fait : «Revenant à la maison, tu racontais des histoires que tu avais comprises. Moi, j’avais 7ans, j’étais en CE1 et je me disais: «Je ne vais rien lui confier de ce que je pense, sinon il va me compren dre!»» Elle se planquait par rapport aux explorateurs de psychisme que sont les psys. Que voulez-vous, je suis ainsi fait. Je suis incurable.(Le Figaro-Mag.16.04.2010.)
***jamais sans mon psy !
Médiatiques et pédagogues, ils rayonnent sur la scène psy française, chacun dans son domaine. Portraits de ces nouveaux gourous.
DEUIL – CHRISTOPHE FAURÉ
A 46 ans, ce psychiatre originaire du Havre n’a rien d’un homme austère hanté par la mort. Pourtant, en une quinzaine d’années, il s’est imposé comme le spécialiste du deuil et de la fin de vie, après Michel Hanus, Marie-Frédérique Bacqué et Marie de Hennezel. Il travaille dans le monde associatif et à l’hôpital, notamment dans l’unité de soins palliatifs de l’hôpital Paul-Brousse (Ville juif). Quand il publie, en 1995, Vivre le deuil au jour le jour, personne n’imagine alors que deux rééditions seront nécessaires pour apaiser la soif des lecteurs. Quelque 100 000 exemplaires plus tard, le premier travail de vulgarisation du Dr Christophe Fauré est un véritable succès de librairie. L’auteur ne cessera de séduire sur des sujets difficiles. Un autre de ses livres, Vivre ensemble la maladie d’un proche, touche aussi un large public. «Parce qu’il sait entrer dans l’intime avec beaucoup de justesse», affirme son éditeur. Malgré la dureté des sujets qu’il aborde, Christophe Fauré garde cette vivacité que l’on retrouve chez une bonne partie de cette nouvelle génération de psys. Adepte de retraites et de bouddhisme, il anime son blog, voyage, collabore à des émissions de télévision (« Le Magazine de la santé » sur France 5) et s’occupe du contenu éditorial du site Traverserledeuil.com. «Chacun d’entre nous porte en lui d’insoupçonnables ressources», écrit-il. Une véritable devise.
FAMILLE – SERGE HEFEZ
La famille, il l’aime. Mais sur son blog – eh oui, lui aussi en a un ! -, il l’écrit avec un H comme haine. Le goût du jeu de mot lui vient sans doute de son passé soixante-huitard. Expulsé d’Egypte en 1957 avec toute sa famille alors qu’il a à peine 2 ans, ce petit juif vivra les barri cades et la «révolution» avec une volonté farouche de profiter de cette liberté nouvelle. Dans cet esprit, l’homme ne s’interdit rien. Psychiatre et psychanalyste ne se revendiquant d’aucune école, il critique la psychanalyse française qui aurait gravé Freud dans le marbre et transformé la discipline en une véritable religion. Responsable de l’unité de thérapie familiale dans le service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à la Pitié-Salpêtrière, à Paris, l’homme passe aussi beaucoup de temps sur les plateaux de télévision. Parfois avec un certain manque de discernement, comme lorsqu’il devient le psy de service d’une émission de téléréalité. Cela n’empêchera pas ce pionnier des thérapies familiales en France de fustiger plus tard le caractère dangereusement nombriliste et exhibitionniste d’une société atteinte de «Sarkose obsessionnelle» – titre d’un pamphlet qu’il signe au début du quin quennat. Malgré ces dérapages trop médiatiques au goût de ses pairs, ce praticien reste respecté pour son travail sur le couple et la famille. Il en défend une vi sion positive et incite les parents à apprendre à leurs enfants «à aimer da vantage le monde à venir que celui de leur passé».
MIEUX-VIVRE – DAVID SERVAN-SCHREIBER
Le fils aîné de Jean-Jacques Servan-Schreiber est devenu une véritable star du mieux-vivre depuis le succès de son best-seller Guérir (Robert Laffont), vendu à 1,3 million d’exemplaires et traduit en une trentaine de langues. Face à un tel succès, il a essuyé quelques coups. Notamment quand il a décidé de proposer ses propres gélules d’oméga 3, son produit miracle, en France. Si ce psychiatre formé à l’école américaine (au Canada) déplaît, c’est pour son côté vulga risateur et pragmatique, reconnaît un de ses confrères. Il aborde les questions médi cales sans tabou. Ce qui plaît aux Français mais agace les experts, qui parlent parfois de charlatanisme. Pourtant, David Servan-Schreiber n’est pas un guérisseur proposant de manger les pissenlits autrement que par la racine. Il est médecin, chercheur imprégné de sciences neurocognitives. Quand il est rentré en France en 2002, il a tenté d’imposer la technique dite EMDR du Dr Shapiro (voir encadré p.63), au grand dam des psychanalystes. Mais il en faut plus pour abattre ce quadra au regard clair et au sourire facile. Dans un deuxième ouvrage, Anticancer (Robert Laffont), il raconte son combat contre la maladie. Nouveau succès colossal avec un million d’exemplaires vendus. Il y présente des recettes simples de bien-vivre : alimentation saine, méditation, repos, luminothérapie, entourage affectif… Il enfonce des portes ouvertes ? Lui répond, toujours souriant, qu’il n’oblige personne à croire en ses méthodes.
BONHEUR ET ESTIME DE SOI – CHRISTOPHE ANDRÉ
Ce psychiatre au doux sourire et à la voix chantante, qui consulte à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, enchaîne depuis une dizaine d’années les livres sur le bonheur et l’estime de soi. Au départ, Christophe André, 54 ans, s’était surtout intéressé aux phobies et aux angoisses. Mais c’est avec L’Estime de soi (1999), Vivre heureux. Psychologie du bonheur (2003) et surtout Imparfaits, libres et heureux (2006, 300 000 exemplaires vendus) qu’il connaît un véritable succès. Son dernier livre, Les Etats d’âme. Un apprentissage de la sérénité, en 2009, s’est écoulé à 120 000 exemplaires (tous sont publiés chez Odile Jacob). C’est en cherchant à prévenir les rechutes de ses patients dans la dépression que Christophe André a commencé à travailler sur la psychologie du bonheur. Ses livres sont truffés d’anecdotes, parfois très personnelles (sur le thème : «Voyez comme je suis heureux, faites comme moi»), de citations de philosophes et de conseils. Le médecin ne s’en cache pas : lorsqu’il écrit, il a «constamment en tête le service psychologique rendu au lecteur». Ses patients sont ses premiers lecteurs. Considéré comme le chef de file des comportementalistes, «ce professeur de bonheur» tient un blog sur lequel il laisse chaque jour une pensée, un message, une anecdote. Avec toujours, en ligne de mire, l’idée qu’être heureux, ça s’apprend.
RÉSILIENCE – BORIS CYRULNIK
Le titre ne donnait pas vraiment envie : Un merveilleux malheur. Pourtant, quand le livre sort en 1999, la France se l’arrache : 280 000 exemplaires ! Elle découvre la résilience, cette faculté de l’homme à surmonter les traumatismes. Depuis, Boris Cyrulnik est devenu une star internationale, alors qu’il se présentait comme un ovni pour sa génération. Né en 1937, ses parents déportés et lui échappent à une rafle en se cachant dans des toilettes (ce qu’il raconte en détail dans Je me souviens). Très tôt, le jeune Boris se passionne pour l’étude comportementale des êtres humains. L’éthologie n’étant pas très bien vue de la nébuleuse psy, il pousse aussi des études de neurologue, devient psychiatre puis psychanalyste. Le traumatisme de son enfance n’est pas pour rien dans son travail. Et c’est aussi cela qui le rend crédible aux yeux de ses lecteurs. Surtout, Cyrulnik porte un formidable discours d’espoir : il n’y a pas de fatalité au malheur, à ce qu’il appelle la «mort psychique». Certains diront que c’est Hollywood qui se déguise en Freud ; mais le travail de Cyrulnik se révèle sérieux avec le temps et sa capacité à vulgariser sa pensée s’avère extrêmement efficace. «Les âmes blessées ont trop longtemps été condamnées à le rester», affirme-t-il.
ENFANCE ET ADOLESCENCE – PHILIPPE JEAMMET
Depuis Françoise Dolto, l’enfance et l’adolescence sont des terrains de prédilection pour les psys. Derrière Marcel Rufo, le « pape » de la spécialité, beaucoup de médecins et de psychologues se sont taillé une belle notoriété, avec parfois de sanglantes querelles autour de l’héritage doltoïen (Didier Pleux pour les «anti», Claude Halmos pour les «pro»). Ajoutons les pédiatres qui se font psys, à l’instar d’Aldo Naouri, adepte du retour de l’autorité face à «l’enfant roi», et dont chaque livre de conseils devient une bible pour parents dépassés. Sans doute moins connu que ses confrères, Philippe Jeammet est un grand spécialiste des troubles de l’adolescence (boulimies, anorexie, etc.). Psychiatre, psychanalyste et ex-chef du service psychiatrie de l’adolescent à l’Institut mutualiste Montsouris, à Paris, il est aussi un auteur prolifique. Il a notamment écrit avec Rufo et Hefez Les Nouveaux Ados. Comment vivre avec (Bayard, 2006) et, seul, Pour nos ados, soyons adultes, en 2008, chez Odile Jacob. Son message est clair:pas de «parents copains ». Les adultes doivent «tenir leur place» face aux adolescents, savoir imposer leur autorité. Et, surtout, leur montrer en cette période de doutes que la vie vaut le coup. Bref, le rôle des parents est d’aider leurs ados à se projeter avec confiance dans l’avenir. Une feuille de route qu’il développe à nouveau dans sa Lettre aux parents d’aujourd’hui (Bayard), sortie en février. (Figaro-Mag.16.04.2010.=
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