Le Ballet de l’Opéra de Paris
Que retient-on alors de cette immersion ? Des images inoubliables, tant Wiseman possède l’art difficile de filmer la danse. (Sophie Dulac Distribution)
Avec «La Danse», Frederick Wiseman dédie un film fleuve à cette compagnie considérée comme la meilleure du monde.
Deux heures trente-neuf sur le Ballet de l’Opéra de Paris ! Il fallait un Américain pour signer un monument pareil. Tous les pays du monde peuvent bien l’admirer, en France, le Ballet de l’Opéra semble appartenir au paysage. Il a été fondé par Louis XIV et subit un peu le même sort que Versailles : à moins d’y lâcher un Jeff Koons, il a son public d’adorateurs mais ne fait pas la une.
C’est pourtant, officiellement, la meilleure compagnie du monde : dans le classique, les Russes l’égalent mais ils n’ont pas de répertoire contemporain. Et dans le contemporain, les Américains pourraient lui damer le pion, mais, faute d’école, leurs classiques sont à pleurer car le corps de ballet est trop disparate.
Frederick Wiseman n’est pas un admirateur comme les autres. Son style, c’est la discrétion. Il se fond dans le décor, caméra sur l’épaule, reste assez longtemps pour se faire oublier et filme tout, sans jamais parler et sans prévenir non plus. C’est ainsi qu’aux États-Unis il a tourné la vie quotidienne dans un hôpital psychiatrique, une prison, un service de soins palliatifs, a suivi l’American Ballet Theatre… et, à Paris, la Comédie-Française et, récemment, le Crazy Horse pour un film qui sortira l’an prochain. Wiseman attrape des bribes de dialogues, capte des situations, des conflits, des élans.
À l’Opéra de Paris, où il est resté douze semaines, il n’a pas procédé autrement. Fasciné par le Palais Garnier, il s’est promené dans les couloirs, au plus près du travail quotidien : celui des danseurs sur scène, en création ou en répétition, mais aussi celui des costumiers, des maquilleurs, agents de ménage, directeur du personnel en pleine négociation sur les retraites, comité de direction réfléchissant à la manière d’accueillir les mécènes américains ou confidences des danseurs dans le bureau de Brigitte Lefèvre.
Des images inoubliables
Jamais Wiseman ne livre un commentaire ou un nom de danseur ou de chorégraphe. Son film n’explique rien, mélange les répétitions et fait l’impasse sur l’École de danse et sur le concours de promotion interne du Ballet, deux des particularismes qui résument au mieux le Ballet de l’Opéra de Paris.
Cet aspect décousu, ces longueurs, ces sempiternels levers de soleil sur le Palais Garnier peuvent agacer ou bien séduire. Que retient-on alors de cette immersion ? Des images inoubliables, tant Wiseman possède l’art difficile de filmer la danse. Et aussi cette lutte contre soi-même, ces plages de doute et ces moments de grâce qui tissent une existence de danseur. C’est-à-dire tout. (Le Figaro-07.10.09.)
**** Frederick Wiseman : «Transmettre la beauté»
LE FIGARO.- Vous avez déjà réalisé en 1992 un film de danse sur l’American Ballet Theatre à New York. Qu’est-ce qui distingue ces deux compagnies ? Frederick WISEMAN.- Chaque compagnie reflète en minuscule la vie de son pays. Quand j’ai voulu filmer l’ABT, on a rassemblé tous les danseurs et fait un vote général pour obtenir l’autorisation de tournage. À Paris, on a fait voter le corps de ballet, puis les premiers danseurs, puis les étoiles. C’est dire si en France les questions de hiérarchie sont importantes. Le fait que la compagnie soit subventionnée change aussi : le ballet de l’Opéra de Paris a le budget d’une petite ville de France, on sait qu’il aura de l’argent pour la prochaine saison et les suivantes. Ce qui n’est pas le cas aux États-Unis où le directeur du ballet doit d’abord trouver de l’argent. Cela n’induit pas du tout la même relation avec les danseurs.
Un documentaire de deux heures trente sans aucun commentaire, c’est singulier. Pourquoi refusez-vous les explications ?
Je déteste les idées préconçues. Quand je commence un film, j’y entre avec la seule pensée que c’est un bon sujet. Je mène ensuite ma découverte avec mes yeux et mes grandes oreilles ouvertes. Le film final dépend de ce que j’ai appris. Je ne me dis pas : je vais montrer telle ou telle chose, prendre ce parti-là serait se mettre des œillères. En outre, je déteste les explications : avec ce film, j’ai simplement voulu me laisser fasciner par la beauté, et transmettre cela.
Pourquoi avez-vous pris le parti de ne pas filmer ces deux spécialités du ballet de l’Opéra de Paris que sont le concours de promotion interne et l’école de Nanterre ?
Parce que j’aurais dû rajouter au moins une heure trente de film pour chacun de ces volets ! Le danger, si on fait un film et que l’on veut toucher à tout, c’est d’être superficiel.
Qu’est-ce qui vous a frappé chez les danseurs ?
Pas la rivalité, même si elle existe. Le plus important c’est la danse, le spectacle et le rôle dans le spectacle. Et puis la discipline, inculquée dès l’enfance. Quand je suis allé à l’école, les enfants dans le couloir me faisaient la révérence. C’est très important. Cette éducation du danseur classique me semble à rapprocher de celles des collèges du XIXe siècle quand on parlait allemand, grec et latin à 12 ans. Cette discipline, que le danseur va appliquer de 8 à 40 ans, appuie l’idée de hiérarchie et donne une immense liberté : quand la base est très forte, cela donne la possibilité d’essayer à l’infini.
La logique du montage vous est apparemment très personnelle. Qu’est-ce qui vous a guidé ?
Ma seule règle : rester sur ma chaise jusqu’à ce qu’il soit terminé. En tout, il y avait 140 heures de rush. C’est en les étudiant que je trouve le film. D’abord, je les note d’une à trois étoiles comme les restaurants dans le Michelin, j’en écarte 70 % et je mets de six à sept mois à opérer le premier montage. Le résultat doit donner l’illusion que la réalité a existé telle qu’on la voit. Le mot-clé du montage, c’est pourquoi telle scène suit telle autre. Je dois pouvoir l’expliquer, au moins à moi-même en tout cas.
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