Célibat : mode de vie ou contrainte sociale
*Un phénomène croissant en Algérie
Le célibat : entre mode de vie et contrainte sociale
Alors que la démographie reprend de plus belle, avec un indice des naissances assez élevé ces dernières années, paradoxalement, le célibat n’a jamais été aussi important. Sur 35 millions d’Algériens, il y a quelque 18 millions de célibataires, dont 10 millions de femmes en âge de procréer.
Au moment où des milliers de couples convolent en justes noces cet été, nombreuses sont les personnes qui ont fait du célibat un mode de vie, pour des raisons économiques, socioculturelles, familiales ou simplement personnelles. Des femmes ont choisi de “vivre en solo”. Témoignages. Elles sont cadres supérieurs, chefs d’entreprise, magistrates, médecins ou encore de haut gradées dans le corps militaire, ces femmes ont choisi le célibat volontaire et assumé. Un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur en Algérie. Leur intégration dans le monde du travail et leur indépendance économique et sociale enlèvent au mariage son caractère indispensable pour leur survie, comme c’était le cas pour les générations passées. Beaucoup d’hommes ont également choisi le même statut, à tort ou à raison. Mais il faut dire que les raisons du célibat féminin ou masculin sont quasiment les mêmes. Les causes de ce phénomène qui semble prendre de plus en plus d’ampleur sont dues essentiellement au chômage, à l’exiguïté de la maison familiale, à l’indisponibilité de logement et au manque de moyens financiers. Car, s’il existe des célibataires heureux, d’autres n’aspirent qu’à trouver chaussure à leur pied. Au cours de notre enquête, la majorité des hommes et femmes que nous avons rencontrés et qui ont bien voulu discuter de cette question très personnelle ont pratiquement tous dépassé la quarantaine. La plupart sont instruits ou issus d’une couche sociale aisée. “Je ne suis pas à la recherche de l’âme sœur, même si j’ai dépassé largement la quarantaine. Pour la simple raison que j’assume mon célibat. Je suis convaincue que je ne trouverai pas quelqu’un qui pourrait m’apprécier à ma juste valeur. J’ai passé pratiquement tout mon temps et mon énergie à étudier pour construire une vie professionnelle, et je n’ai aucunement envie de quelqu’un qui pourrait détruire tout et me réduire à une simple femme au foyer soumise”, nous dit Leïla, maître assistante dans un hôpital à Alger. Et d’ajouter : “J’ai connu quelqu’un, il y a quelques années, qui m’a demandé de choisir entre lui et mon travail. Mais c’est insensé ! J’ai bien sûr opté pour mon poste et je ne le regrette pas.” Amel, pharmacienne, et Noura, chef d’entreprise, en pensent autant. “Mieux vaut être seule, car je suis une personne très libre avec ses défauts et qualités, et je suis convaincue que l’homme en général, et l’Algérien, en particulier, a cette fierté mal placée et voudrait avoir une femme soumise. Ils veulent reproduire l’image de leurs mères et grands-mères”, soulignent-elles. “On ne demande pas aux maris de nous prendre en charge matériellement ou de subvenir à nos besoins. Nous voulons cette égalité des points de vue intellectuel et fonctionnel”, dit de son côté Chahrazed, gynécologue. Son amie, Meriem, 38 ans, elle aussi célibataire, chef de service dans un centre médical, enchaîne : “J’ai fait des études sans la volonté de mes parents parce que je voulais à tout prix réussir dans ma vie professionnelle. J’ai eu beaucoup de demandes en mariage. Mais tous n’ont pas compris mon vœu de progresser socialement. Ils ne voyaient en moi que la future mère de leurs enfants. Il m’est arrivé de regretter d’avoir refusé des prétendants. Mais en progressant dans mon travail, j’ai vite oublié. Les années passent vite, je suis toujours seule mais satisfaite de mon indépendance.”
Côté hommes, Mohammed, 47 ans, cadre supérieur dans un ministère, explique son choix : “J’adore ma liberté et je n’ai pas envie de la perdre”, lance-t-il. Fouad, 51 ans, chirurgien-dentiste, a choisi le célibat parce qu’il n’a pas trouvé chaussure à son pied : “Quand j’étais plus jeune, je cherchais une belle femme, arrivé à la quarantaine, j’ai commencé à m’intéresser au côté intellectuel, mais je n’ai pas trouvé ce que je cherchais réellement. Avec le temps, j’ai fini par me décider de vivre librement, sans engagement.”
Ainsi, à force de chercher la perfection chez le conjoint, la majorité de ces célibataires se retrouvent seuls à un âge avancé. “J’ai toujours rêvé d’un bel homme, intelligent, respectueux, charmant et plein de qualités, quelqu’un qui n’existait finalement que dans mon esprit. Je ne pouvais pas accepter n’importe qui, comme le font les jeunes filles d’aujourd’hui. Comme je suis issue d’une famille aisée, et ayant fait des études supérieures, je me voyais mal avec quelqu’un d’inférieur à moi. Je suis restée célibataire. Ne dit-on pas, mieux vaut rester seul que mal accompagné”, conclut Nouara, magistrat.“Je suis considérée comme une personne hors normes, incomprise”
“Je me sens gênée à chaque fois que quelqu’un me pose la question du mariage. Ils n’arrivent pas à comprendre que c’est un choix assumé. Je ne vois pas pourquoi on doit se justifier alors que l’homme vit cette situation le plus normalement du monde”, dit Imane, 44 ans, enseignante. Mais, il n’est pas toujours facile de convaincre la société de ce choix. “Je me demande pourquoi tu ne veux pas te marier, sauf si… C’est désolant que notre société n’ait pas encore évolué. À ces gens-là, je dirai oui, j’ai privilégié ma carrière, c’est un choix que j’ai toujours fait en connaissance de cause”, dit Ikram, standardiste. “Tout le monde pense que si l’homme me demande de quitter mon travail, il faut le faire. Ils se demandent pourquoi je n’ai pas encore trouvé de mari à mon âge !” Chez les hommes, la situation n’est pas bien différente mais ils résistent à la pression. “À chaque fois que je rentre à la maison, ma mère relance son sujet favori, me marier et voir mes enfants avant de mourir. J’ai beau lui expliquer que je ne le veux pas, elle insiste et je finis toujours par lui dire que je vais réfléchir”, nous raconte Hamid, chef d’atelier.Entre crise socio-économique et obligations familiales
Fouad est chef de département dans un organisme public. Âgé de 53 ans, il ne regrette pas d’avoir vécu pour ses jeunes frères et sœurs :“Quand mon père est décédé, j’avais 24 ans. Il a laissé derrière lui trois garçons et quatre filles. Je ne pouvais pas les abandonner. J’ai sacrifié les plus belles années de ma vie à les marier. Aujourd’hui, je me sens satisfait d’avoir fait ce qu’il fallait faire. Je savoure mon célibat. Quoique ce ne sont pas les opportunités qui manquent, ni les moyens financiers”, dit-il. Nadia est âgée de 48 ans. Elle vit avec sa mère malade. Elle travaille dans une banque publique. Propriétaire d’un appartement, elle a préféré vivre dans le domicile familial. Son père décédé, ses frères et sœurs tous mariés, elle était obligée de prendre en charge sa maman. “Il est vrai que quand j’étais plus jeune, je rêvais d’un mari et d’enfants, mais en voyant l’expérience de mes sœurs, j’ai vite changé d’avis. Surtout que je ne voulais en aucun cas laisser ma mère seule. Il y a des moments où je plaisante avec elle en lui disant que j’allais me marier et qu’elle allait vivre avec moi et mon mari, elle se fâchait et disait qu’elle veut mourir chez elle”, soutient-elle. Nombreux sont les hommes et femmes célibataires qui se débattent dans les difficultés matérielles. Il faut dire que le problème du logement, le taux de chômage et la cherté de la vie sont les causes principales du célibat. Pour se marier en Algérie, l’homme doit avoir au minimum un travail et un appartement. Cet avis n’est pas partagé par certains sociologues algériens. Ils avancent que cette tendance n’a pris de l’ampleur que depuis une quinzaine d’années en Algérie et les raisons de cette mutation “sont liées à l’occidentalisation de la société algérienne, à travers l’ouverture sur les médias étrangers et les émissions qu’ils diffusent sur le mode de vie et des relations sociales qui ont séduit ces célibataires à la recherche de liberté et d’indépendance.” Elle est liée aussi au “facteur socioculturel qui reste l’élément principal, car le temps où la femme subissait le choix de ses parents est presque révolu”. Pour certains, il s’agit plutôt de la recherche d’un conjoint idéal. Une femme qui a un niveau d’instruction élevé cherche toujours un homme cadre, universitaire, intellectuel. Et la réciproque est vraie. C’est un besoin psychologique. (Liberté-08.08.2010.)
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Mutation de la cellule familiale en Algérie
Les femmes constituent 45% de l’ensemble des célibataires
Selon une enquête sur les mutations de la structure familiale en Algérie, réalisée par le Ceneap, il ressort que parmi les facteurs qui ont marqué la structure familiale au cours de la dernière décennie, le recul de l’âge du mariage, estimé aujourd’hui à plus de 30 ans, l’augmentation du célibat et l’élévation du niveau d’instruction, notamment chez les filles, induisent une exigence plus forte en matière d’émancipation économique et sociale. Cette enquête a révélé que la société algérienne a connu des transformations profondes dont les répercussions sur la structuration des familles sont encore difficilement quantifiables. Selon ce rapport, la crise de logement est le frein principal à l’indépendance des couples et des jeunes. L’activité féminine se confirme de plus en plus avec 13,2% en 1998 contre 1,4% en 1966 et le taux d’analphabétisation est en nette régression : de 31,9% en 1998 à 26% en 2003 contre 74,6% en 1966. Les femmes constituent 45% de l’ensemble des célibataires. Quant aux motifs avancés au sujet du report du mariage, on notera la scolarisation pour 17,3% des cas, le manque de moyens (27%) et le refus de mariage sans spécifier la cause (10,5%). Par sexe, la non-demande en mariage a constitué une entrave majeure pour 51,8% des femmes célibataires. Les garçons se plaignent surtout de l’absence de moyens matériels (44,4%). (Liberté-08.08.2010.)
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Medjahed Faïka, responsable du service santé femme à l’Institut national de santé publique (INSP)
“Nous sommes dans une société qui se cherche”
“Ces femmes intellectuelles célibataires sont le fruit de beaucoup de sacrifices. Nos mères et grands-mères et nos pères analphabètes ont tout investi dans l’espoir de voir leurs filles réussir dans leurs études. Nos mères n’ont pas voulu que leurs filles vivent la même situation qu’elles”, affirme-t-elle. “Elles ont voulu que nous soyons indépendantes et instruites et non pas soumises, privées de notre liberté et de nos droits. Elles ont voulu que nous soyons ce qu’elles n’ont pas pu être. À travers leurs filles, les mères rejettent le statut de mineure et d’infériorité. Il suffit de constater de quelle façon les parents en général et les mères en particulier encouragent leurs filles à étudier. Il est vrai que nous, les femmes, nous avons été élevées dans la modernité et l’archaïsme. Nous sommes dans une société qui se cherche encore. Il est vrai qu’il y a une progression sociale et une présence des femmes sur le plan social, mais on constate que de plus en plus on ne trouve pas chaussure à son pied. La société est en phase de mutation entre les femmes et les hommes. Elles veulent bien se marier, mais il faut que cela se fasse dans le respect de ses droits. Les femmes comme les hommes pensent que le mariage est une entrave. Ils ne veulent pas être castrés et reproduire la vie de leurs parents. La société d’aujourd’hui est en train de se chercher à travers ces femmes intellectuelles qui ont su avoir une place sociale, économique et professionnelle importante. Nous sommes pour un avenir où il y aura plus de respect et d’amour entre les hommes et les femmes. Je pense que nous sommes sur la bonne voie.” (Liberté)
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Me Benbraham Fatima, avocat à la cour d’Alger, agréé à la Cour suprême ‡et au Conseil d’État
Le célibat : un choix et un mode de vie
Pour cette avocate de renommée, elle-même célibataire, le célibat est un phénomène qui a toujours existé dans la société algérienne. “Ce n’est pas un mode de vie nouveau”, explique-t-elle. “Il est à rappeler que pendant la Révolution, les hommes et les femmes ont choisi le célibat pour la cause algérienne. Ils pensaient à l’indépendance du pays. Ils savaient qu’ils allaient mourir, ils ne voulaient pas laisser derrière eux des veuves et des orphelins. Après l’indépendance, il y a eu une autre forme du célibat. Dans l’Algérois par exemple, dans beaucoup de familles, il y avait au moins une jeune fille non mariée. Elle secondait la maman et prenait sa place dans tout. Après le décès des parents, c’est toujours l’aînée qui se chargeait de la vie familiale. Elle était une véritable maîtresse de maison et généralement connaissait tout de la vie. Elle était très respectée et son avis toujours pris en considération. Il y a aussi beaucoup de parents qui décident pour leurs filles. Surtout si c’est la fille unique à laquelle on a tout donné et qui a fait des études supérieures. Ces parents ne veulent pas marier leur fille à un homme qui ne la mérite pas. Par amour pour leur fille et souvent par crainte de l’échec, ils préfèrent la garder chez eux. Aujourd’hui, beaucoup de personnes ont fait du célibat un choix et un mode de vie. Elles ont presque toutes un haut niveau d’instruction et un statut social assez respectable. Ce sont ces facteurs qui ont préconisé ce choix. Elles sont aussi des personnes très épicuriennes et altruistes qui pensent énormément aux autres et font généralement des sacrifices. Il existe aussi une grande part de jeunes filles qui considèrent le célibat comme une gangrène. Elles ont peur de dépasser l’âge du mariage et de se retrouver vieille fille. Elles finissent par épouser n’importe quel homme. Ce genre de mariage se termine souvent par un divorce et les victimes sont les enfants. Cet état de fait est généralement dû à la pression de la société qui donne des mariages mal assumés.” (Liberté-08.08.2010.)
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