Le mentoring
Le réseau EPWN se charge d’une curieuse mission : trouver des âmes sœurs professionnelles.
À l’une en pleine interrogation quant à une reconversion, elles présentent l’autre, qui a monté son entreprise. Objectif : faire avancer les carrières, remiser les complexes au placard et aider les femmes à briser le plafond de verre.
Il suffit d’écouter parler les salariés : l’entreprise à la française peine à valoriser ses équipes. Culte du petit chef, jalousies, idées contrariées par peur de bouleverser le rythme établi : dans ce contexte, il n’est pas facile de trouver sereinement des modèles inspirants pour la suite de sa carrière. Et encore moins, quand cela arrive, d’oser prendre leur précieux temps pour demander conseil.
« Si j’avais eu accès à la pratique du mentoring au cours de ma carrière, je suis persuadée que j’aurais évolué autrement », confie Martine Van Went, ancienne directrice du marketing dans une grande agence bancaire et coleader du groupe mentoring chez European Women Professional Network (EPWN) Paris, un réseau exclusivement féminin, présent dans les grandes capitales européennes. EPWN fournit à ses membres conférences et formations, mais leur donne surtout l’occasion d’une véritable émulation professionnelle.
Alors, c’est quoi au juste, le mentoring ? « C’est une pratique importée des États-Unis, qui pourrait se traduire par “parrainage” ou “tutorat” », explique Martine Van Went. Une mentor entre en relation avec une mentee, qui, à un moment de sa carrière, peine à trouver des réponses pour avancer comme elle le souhaite. « Cela consiste simplement en un partage d’expériences », résume Martine Van Went.
Pour ce faire, il n’est pas nécessaire de donner la primeur aux seniors : une femme de 35 ans peut être mentor d’une de 50, l’essentiel étant d’avoir de la matière empirique pour étayer ses conseils. Attention, le but de la démarche n’est pas de venir chercher le carnet d’adresses de quelqu’un », précise Martine. Encore moins un coach. Car là où celui-ci aide à travailler sur le comportement, le mentor vient apporter des pistes de réflexion sur le fond et ouvrir des perspectives. Le tout de façon totalement bénévole.
Quand Elodie Gythiel devient membre d’EPWN-Paris, elle a 33 ans et hésite entre créer son entreprise ou accepter un poste salarié. Sa mentor, Nivadita Ojha, d’origine indienne, mais résidant dans la capitale, s’est lancée dans la création d’une start-up plusieurs années auparavant. « Elle m’a aidée à me poser les bonnes questions, décider s’il valait mieux reprendre un MBA ou envisager l’entreprenariat », raconte Elodie Gythiel. Un coup de pouce qui ne coûte que la cotisation annuelle au réseau EPWN, soit 100 euros.
« Concrètement, mentor et mentee se rencontrent une fois par mois pendant trois à dix-huit mois », explique Martine Van Went. Mais il arrive souvent que les relations glissent vers l’amitié. « Ma mentee était présente quand j’ai fêté mes 60 ans », se souvient Martine. Elodie a fait découvrir Paris à Nividita, aujourd’hui rentrée aux États-Unis, et elles sont toujours en contact.
Il faut dire qu’EPWN n’a pas son pareil pour assembler ces paires, véritables âmes sœurs professionnelles. Car une mentee ne choisit pas sa marraine, ce sont les membres de la branche mentoring du réseau qui jouent les entremetteuses. Et ça marche. « En cinq ans, nous avons fait se rencontrer trois cents personnes, confie Martine Van Went, et seules quatre paires n’ont pas fonctionné. »
L’équipe se retrouve deux fois par an, en mars et en novembre.
« Nous lisons les profils des mentees et des mentors à haute voix et au fil de la présentation, on sent quelles personnes peuvent se correspondre », explique Martine Van Went. Ces unions sur le papier sont ensuite mises à l’épreuve à partir d’exercices de photolangage. Sans se connaître, 90 % des femmes choisissent la même photo que la personne à qui elles sont destinées. Selon l’équipe, cette étrange alchimie se vérifie à tous les coups. Le binôme ne doit alors pas quitter la salle avant d’avoir pris rendez-vous.
Dans cette relation, la mentee est loin d’être la seule à tirer bénéfice du duo. « Être mentor oblige à faire une sorte de bilan sur ses propres acquis professionnels », assure Martine Van Went. C’est aussi une manière d’éviter à l’une les ornières où la première est passée. « J’avais moi-même rencontré les questions qu’Elodie se posait. Mais à l’époque, je n’avais personne avec qui en débattre. Alors, j’ai trouvé ça agréable que quelqu’un puisse apprendre de ma propre expérience », raconte Nividita Ojha. « Chaque personne qui a “roulé un peu” a quelque chose à partager », souligne Dana Allen, directrice de la communication d’EPWN-Paris. Malheureusement, les femmes qui mettent à disposition leur expérience sont moins nombreuses à postuler que celles qui veulent en bénéficier.
Valoriser les savoir-faire
Plus qu’une simple manière de s’épanouir dans sa branche professionnelle, le mentoring peut aider les femmes à briser le fameux plafond de verre. « Cela rassure celles qui pensent qu’elles ne font pas le poids pour grimper dans l’entreprise », estime Elodie Gythiel. EPWN-Paris s’apprête d’ailleurs à mettre en place une branche mentoring de très haut niveau dans le cadre du programme Women on Boards : des femmes qui viennent d’accéder à la fonction d’administratrice pourront être
« parrainées » par d’autres qui en ont déjà fait l’expérience.
Couramment utilisé en Suisse et au Luxembourg, c’est donc un outil qui a fait ses preuves. Pourtant, bien peu de directeurs des ressources humaines français semblent en avoir eu vent. « Cette pratique ne nous a pas du tout été enseignée, précise Cély, diplômée en R. H. en 2002. J’en ai parlé à une amie qui étudie actuellement à l’Institut de gestion sociale, et elle n’en savait pas plus que moi. Les pratiques anglo-saxonnes en matière de ressources humaines ont du mal à percer dans les sociétés franco-françaises. Dans mon réseau, cette notion n’a jamais été évoquée, et encore moins par rapport à l’évolution des femmes dans une structure. »
Parce qu’évidemment, si la technique EPWN s’avère très efficace, elle reste interne au réseau. Encore peu de groupes français ont compris l’intérêt de la développer au sein même de l’entreprise. Alcatel-Lucent, dans le cadre du projet Women in Leadership, a pendant un temps organisé des rencontres, forums et ateliers entre les femmes cadres à haut potentiel de l’entreprise. Mais le programme est en sommeil actuellement au vu des transformations du groupe depuis la fusion de fin 2006.
« Si on réfléchit, le mentoring coûte moins cher que les programmes de formation », insiste Martine Van Went. Et surtout, il apparaît comme une manière intelligente de valoriser les savoir-faire. Un outil intéressant aussi pour replacer l’humain au centre des stratégies en ces temps de stress accru au travail et de dépersonnalisation grandissante de l’entreprise. (Le Figaro-16.10.09.)
Si vous voulez devenir mentor ou mentee, contactez EPWN-Paris.
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