Galápagos, un paradis écologique
**Chaque année, 200.000 privilégiés visitent dans les pas de Darwin ce sanctuaire de la nature situé à 1000 kilomètres des côtes de l’Equateur. Avec l’assurance d’approcher au plus près, sans la troubler, une faune exceptionnelle, ultraprotégée. Un voyage rare.
Vibre ici comme une onde première. Tellurique. Elle marie le feu qui palpite sous la croûte de lave semée d’arbrisseaux rachitiques avec les lames du Pacifique, dans lesquelles jouent les otaries et les fous à pattes bleues. Et c’est la vie qui jaillit. Ici, l’autorité a désigné 51 sites de visite sur l’archipel de 19 îles entourées d’une quarantaine de gros cailloux, qui flotte à 955 km des côtes de l’Equateur, pays dont il dépend. Ni barrières ni grillage. Juste deux interdits: ne pas toucher, encore moins alimenter les animaux. Mais il est vrai que l’essentiel des 8 006 km² que couvre le territoire est exempt de toute présence humaine et que la nature peut prospérer en toute tranquillité. Il suffit d’observer Puerto Baquerizo Moreno, le gros village qui sert de capitale à l’île de Santa Cruz, porte d’entrée sur l’archipel, pour comprendre que la formule fonctionne à merveille. Un port, quelques terrasses, les enfants qui tapent le ballon, un ponton sur lequel s’affairent les pêcheurs… La vie ordinaire d’une île du Pacifique. Et au milieu de ce modeste désordre, des dizaines d’otaries qui prennent leurs aises, sans que quiconque s’en émeuve. Elles paressent sur un banc public, se chamaillent à même le trottoir et, dès le crépuscule, s’affalent sur un tapis de sable doré. Pendant ce temps, les albatros et les mouettes griffent le ciel pâle, pendant que les pélicans jouent à raser la vague, avant de plonger sur un banc de mulets. Magique.Les Galápagos seraient, dit-on, un sanctuaire de la Nature. L’archipel a effectivement été élevé au rang de patrimoine mondial par l’Unesco en 1978. A l’époque, c’était une première. Dans le monde entier, il jouit par ailleurs d’une aura exceptionnelle en raison du passage de Charles Darwin, naturaliste britannique naviguant sur le Beagle. Il débarque ici le 15 septembre 1835 – il a 22 ans – et reste cinq semaines. C’est assez pour alimenter sa démonstration sur L’Origine des espèces, publiée vingt-quatre années plus tard, et ses observations sur leur évolution.
La faune des Galápagos lui offre un exceptionnel laboratoire vivant quand, d’île en île, il observe la mutation du bec des oiseaux (58 espèces, dont 28 endémiques), les pinsons en particulier, en fonction de leur alimentation. Au passage, en pointant sa plume sur ces terres oubliées, plusieurs siècles durant livrées aux seuls pirates, baleiniers et aventuriers, Darwin crée l’un des mythes du voyage. Actuellement, il faut quand même trois vols, quinze heures dans le ciel et une nuit à Quito (capitale de l’Equateur) pour rallier les Galápagos au départ de Paris. Environ 200 000 visiteurs dont 21.000 Français se plient à la norme chaque année. Incertitude des statistiques équatoriennes comprises. Leur avion se pose sur San Cristobal (île capitale) ou sur Santa Cruz (la plus peuplée) pour une découverte sous le signe de l’émotion. La preuve à Las Tintoreras (île Isabela), vaste champ de lave. Univers noir, mat et cristallin, peuplé de milliers d’iguanes surgis d’un autre temps, figés sous le soleil en colonies compactes. Soudain, traversant cette foule tapie sur ses sombres dentelles, un crabe rouge vif file vers sa cachette. Autre décor, même beauté. La plupart des plages de l’archipel sont colonisées par les otaries et les lions de mer. Ils sont chaque fois des dizaines, des centaines, alanguis sur le sable ou collés les uns aux autres, grognant, toutes moustaches frémissantes, plongeant pour se rafraîchir, avant de s’affaler à nouveau. On apprend que le mâle veille sur une bonne dizaine de femelles. Sa mission de protection l’empêche d’aller chercher sa pitance, et, au bout de deux mois d’un tel gardiennage, il cède la place à un célibataire mieux nourri, donc plus fort, avant qu’une nouvelle opportunité se présente.
La loi du genre, la logique de Darwin. Reste le symbole absolu des Galápagos, les tortues géantes, plus d’un mètre d’envergure, une centaine de kilos et une vie qui passe allègrement le siècle quand on le lui permet. Darwin s’en émeut: «Des tortues si grosses qu’il fallait six ou huit hommes pour les soulever de terre!» Ce sont elles qui ont inspiré leur nom aux Galápagos, en raison de la forme de leur carapace que les premiers colons ont comparée à la selle d’un cheval (galoper a la même source). Direction les chemins boueux de la vaste réserve d’El Chato (île de Santa Cruz). Plusieurs dizaines d’entre elles y vivent libres. Ou bien direction la station Darwin, toujours à Santa Cruz, un centre de recherche, également écloserie, pouponnière et abri avant mise en liberté. Voici Georges le Solitaire, la tortue star du pays. Cent trente ans et un total mystère: jamais il n’a cédé aux avances d’une des femelles qu’on lui présentait… A côté de lui, Diego, guère moins jeune, mais un millier de naissances à son actif. Darwin se tapote le menton. Les zones de plongée autorisées sont nombreuses. Simple tuba ou bouteilles, éblouissement garanti.
Patrimoine naturel oblige, aucun laxisme n’est toléré
Eau claire (mais fraîche) dont les opalescences bleutées révèlent l’otarie, toujours prête au jeu, le requin-marteau, paisible bourlingueur des hauts-fonds, la raie, qui ondule sur son tapis de sable blanc, la tortue, ravie de trouver un compagnon de nage, et des milliers d’inconnus qui, en nuages éphémères, font perdre les repères. Le site Leon Dormido, sorte de cathédrale océane, est l’un des lieux les plus spectaculaires. Même émerveillement dès qu’on lève les yeux. Darwin déjà s’en était ébahi. Quelle que soit l’île, en tribu ou en solo, à la pêche ou en train de couver, les oiseaux sont toujours en nombre. Du paisible pélican aux vives frégates à la gorge rouge en passant par les goélands, la mouette, le pétrel, le cormoran au regard bleu (ici, il ne vole pas!), le majestueux albatros… Sans oublier deux vedettes: le fou à pattes bleues, un éblouissement turquoise, et le fou à pattes rouges façon Ferrari. Douceur des îles à l’extérieur, orgueil national à l’intérieur. De San Cristobal à Fernandina et de Santa Maria jusqu’à Santa Cruz et la pointe d’Isabela, les Gualapagueños ne sont pas peu fiers de leur identité. Ici, on se méfie de ce qui vient du continent. Alors, on veille. Impossible de devenir propriétaire d’un terrain, d’un bateau, d’une maison, si on n’est pas né aux Galápagos. Et pas question de mariage de circonstance…
Patrimoine naturel oblige, aucun laxisme n’est toléré. Tout détenteur d’une licence de pêche doit embarquer une balise qui le situe et la sanction tombe dès qu’il franchit la limite des zones autorisées. Autre signe relevé à Santa Cruz. L’aéroport, construit par l’armée américaine au cours de la Seconde Guerre mondiale, est tracé à une quarantaine de kilomètres de Puerto Ayora, la ville principale (15.000 habitants). Le macadam rectiligne rend peu vigilant sur la vitesse limitée à 60 km/h. Du coup, les oiseaux y meurent par milliers chaque année. Les autorités ont donc décidé d’installer ici les premiers radars de l’archipel et ont averti que les excès seraient passibles de prison. Une semaine plus tard, 40 conducteurs dormaient derrière les barreaux…Heureusement, c’est un grand air de liberté et de simplicité qui flotte sur les bourgades des Galápagos. Puerto Ayora donc, charmant petit port de pêche, bordé de terrasses et de boutiques sans chichis. Mais aussi Puerto Baquerizo Moreno (San Cristobal) et ses otaries qu’on prendrait pour des habitants du bourg. Tout comme Puerto Villamil (île Isabela) et ses ruelles de sable bordées de terrasses. Après la dernière maison (l’hôtel Iguana Crossing), l’immense plage ventée fait le bonheur des surfeurs et des amoureux. Clairement, le reste du monde est renvoyé aux oubliettes, ses urgences, plus encore. Quand on vit en phase avec cette nature initiale, qu’irait-on courir ailleurs? Darwin en convenait: «Ainsi donc, et dans le temps et dans l’espace, nous nous trouvons face à face avec ce grand fait, ce mystère des mystères, la première apparition de nouveaux êtres sur la terre.» (Le Figaro-27.01.2012.)
* *Voyage d’un naturaliste autour du monde, Editions La Découverte.
Situées dans l’océan Pacifique, à environ 1000 km du continent sud-américain, ces dix-neuf îles et la réserve marine qui les entoure constituent un musée et un laboratoire vivants de l’évolution uniques au monde. Au confluent de trois courants océaniques, les Galápagos sont un creuset d’espèces marines. L’activité sismique et le volcanisme toujours en activité illustrent les processus qui ont formé ces îles. Ces processus, ainsi que l’isolement extrême de ces îles, ont entraîné le développement d’une faune originale – notamment l’iguane terrestre, la tortue géante et de nombreuses espèces de pinsons qui inspira à Charles Darwin sa théorie de l’évolution par la sélection naturelle à la suite de sa visite en 1835. voir vidéos: ici
photos….cliquer ici: iles Galápagos
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