Le pain avait au moins sept vies

Eperdu de pain

 

Naguère, le pain avait au moins sept vies : tartiné, grillé, en chapelure, mouillé avec la soupe, en croûtons aillés pour le civet de lapin du dimanche, en pain perdu, en ingrédient de farce.

Le pain avait au moins sept vies

(Il faut bien l’avouer, on a fauté pour écrire ce qui suit. Pensez donc, on est allé de bon matin à la boulangerie acheter une baguette de pain – la «Tradition», s’il vous plaît, 1,05 euro – avec la ferme intention de la laisser rassir, d’en faire une baguette sèche comme un coup de trique, dure comme du bois, raide comme la justice. Quel intérêt, vous direz-vous, à gâcher ce pain «gagné à la sueur de son front», comme aurait dit sainte Arlette, quoique aujourd’hui on dirait plutôt à la sueur de son clavier ? C’est que le pain rassis est devenu une denrée rare dans notre cambuse. A peine parfois quelques croûtes rebelles, un quignon esseulé ou une tranche momifiée égarés sur un coin de table et vite jetés aux oubliettes. Pas de quoi en tout cas se mettre aux fourneaux pour réaliser une des 61 recettes avec du pain proposées par Jacqueline Ury (1).

Du coup, l’auteur de ce précieux opuscule nous a plongés dans une salutaire interrogation : la faute à qui si le pain ne laisse plus assez de miettes rassises dans nos cuisines ? La faute à nous d’abord, car pour jeter du pain dur, encore faut-il en engranger suffisamment de frais. Or les Français ne sont plus des affolés de la baguette : nous consommons environ 140 g de pain par jour, contre 200 g en 1970, 325 g en 1950 et 900 g en 1900. Sans remonter au XVIIIe siècle où l’on en mangeait deux kilos quotidiennement, il est révolu le temps où, à l’heure du «quatre heures», on se précipitait à la boulangerie pour mettre autour de nos barres de chocolat noir un pain de 400 g, une «grosse» comme disait la boulangère en articulant notre demande avec sa bouche félinienne.

Croûtons aillés. En ces trente glorieuses, le pain (frais, vieux, rassis) était encore un des piliers de l’alimentation familiale. Comme dans la réincarnation, il avait au moins sept vies : tartiné ; grillé ; en chapelure ; mouillé avec la soupe ; en croûtons aillés pour le civet de lapin du dimanche ; en pain perdu ; en ingrédient de farce. Il avait même son meuble : la huche ! Si, si souvenez-vous, ce tabernacle à pains qui trônait entre la gazinière et la machine à laver, parfois affublé de tout ce que la réclame nous offrait en autocollants, la Vache qui rit côtoyant les huiles Motul et les piles Leclanché. On la connut en version osier, puis – summum de la modernité – en plastique tressé, mais aussi façon meuble rustique avec finition au rabot ébréché. La huche était tout sauf pratique quand il fallait en farfouiller bras tendu le tréfonds pour dénicher un reste de baguette fatigué. Elle a aussi mal vieilli quand, faute de pain, elle est devenue un dépotoir domestique pour pochons et autres futurs sacs poubelles.

Aujourd’hui, notre envie de bon pain délaisse l’usage de la huche. Car nous le consommons en partie en tant que nomade à l’heure du sandwich de midi ou d’une autre forme de snacking qui fait la part belle aux paninis, bruschettas et autres pains bagnats. Et la baguette que l’on ramène pour le dîner survit rarement au-delà du petit-déjeuner sous la dent de nos morfales. Alors, si pour une fois, vous cédiez à la tentation d’un pain de deux livres, voire d’une grosse miche au levain. Ce ne serait pas pécher que d’en laisser rassir quelques morceaux. Au contraire. Car la cuisine du pain, c’est l’art magnifique d’accommoder les restes.

Ainsi dans notre baguette rassise, nous avons tranché un morceau de 50 g pour confectionner la sauce aux herbes de Jacqueline Ury qui fait le bonheur des œufs durs. Outre le pain, il faut un gros oignon blanc avec sa verdure ; une échalote ; un bouquet de persil plat ; un bouquet de ciboulette ; trois branches de basilic ; six œufs durs ; une cuillère à soupe d’huile d’olive ; une cuillère à soupe d’eau ; du sel ; une cuillère à café de poivre moulu. Tremper le pain dans de l’eau ; éplucher et hacher finement l’oignon et l’échalote ; ciseler grossièrement le vert de l’oignon. Effeuiller le basilic et le persil en gardant quelques feuilles pour décorer les œufs. Hacher la ciboulette au couteau. Essorer soigneusement le pain et le mettre dans un mixeur avec l’oignon, l’échalote, le persil, le basilic et la ciboulette. Saler, poivrer, ajouter l’huile d’olive, la cuillère à soupe d’eau. Mixer. Napper les œufs durs.

Frangipane. On a ensuite coupé le reste de notre baguette en huit morceaux pour confectionner un des desserts de 61 recettes avec du pain : le pain confit aux amandes. Il faut donc : huit morceaux de baguette rassise ; deux cuillères à soupe d’amandes effilées grillées ; du sucre glace ; 25 cl d’eau ; 60 g de sucre en poudre ; 75 g de beurre mou, 75 g de poudre d’amandes, un œuf, le zeste d’une demi-orange. Mélanger dans un saladier l’œuf battu avec 75 g de sucre glace et incorporer le beurre mou et la poudre d’amandes. Aromatiser avec le zeste d’orange. Réserver cette frangipane au frais. Confectionner un sirop en faisant fondre le sucre en poudre dans l’eau bouillante. Laisser bouillonner et réduire jusqu’à la formation de petites bulles. Couper les morceaux de pain en deux sans détacher les deux côtés. Tremper chaque morceau dans le sirop. Les poser sur une plaque de four recouverte d’un papier sulfurisé, les garnir de frangipane et les refermer en serrant un peu. Mettre dix minutes au four préchauffé à 200 °C. On sort le pain quand il est doré et on le parsème d’amandes effilées et de sucre glace.

Pour un menu tout pain recyclé, on peut confectionner un magnifique pain perdu au rumsteck. Jacqueline Ury recommande de la viande de Salers, mais nous nous sommes contentés d’un honnête bœuf de race indéterminée. Il faut 500 g de rumsteck, deux échalotes, quatre larges tranches de pain de campagne rassis, 180 g de tapenade noire, une branche de basilic, une belle salade, trois cuillères à soupe d’huile d’olive, une cuillère à café de vinaigre balsamique, du sel et du poivre du moulin. Placer le rumsteck dans un plat à four avec les deux échalotes coupées en deux et un peu d’huile d’olive. Cuire un quart d’heure dans un four préchauffé à 220 °C. Sortir du four, saler, poivrer. Laisser tiédir la viande enveloppée dans un papier d’aluminium. Toaster légèrement le pain dans le four encore chaud. Verser un filet d’huile d’olive sur chaque tranche et tartiner de tapenade. Trancher finement le rosbif cuit et poser la viande sur le pain. Décorer d’une feuille de basilic. Servir à l’assiette, chaque tartine étant entourée de salade assaisonnée avec le reste d’huile d’olive, le vinaigre balsamique, le sel et le poivre. Après un tel menu, vous bénirez votre vieux pain.(Libération-22.10.09.)

(1) Illustrations de Charlotte Jankowski. Ed. Les quatre chemins, 14 euros

 

5 réponses à “Le pain avait au moins sept vies”

  1. 27 10 2011
    certification iso (16:57:57) :

    Ce post est vraiment interressant et qui plus est carrément bien écrit.

  2. 28 09 2012
    Fruta Planta (23:25:19) :

    I believe avoiding ready-made foods would be the first step to lose weight. They may taste excellent, but ready-made foods possess very little nutritional value, making you try to eat more only to have enough energy to get through the day. When you are constantly taking in these foods, changing to whole grains and other complex carbohydrates will help you to have more energy while taking in less. Interesting blog post.

  3. 7 11 2012
    Nike Air Foamposite One (00:38:23) :

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