La cité perdue des Incas
*Située à 2400 mètres d’altitude, la légendaire cité inca du Machu Picchu fut contruite au XVe siècle par l’empereur Pachacutec.
Eldorado : les conquistadors n’avaient que ce nom à la bouche. Le pays de l’or! En découvrant le Pérou, ils pensaient l’avoir enfin trouvé. Mais le dernier Inca s’est enfui avec ses trésors. On n’a jamais retrouvé sa cité perdue.
En l’an de grâce 1520, les Espagnols se morfondent à Panamá. Ennui et moiteur. La conquête du Mexique les a laissés sur leur faim. Certes, ils ont fait la jonction entre deux océans, l’Atlantique et le Pacifique, mais ils veulent encore et toujours plus, fidèles à la devise qui orne l’étendard de Castille: «Plus Ultra» (toujours au-delà). C’est alors qu’une rumeur venue du sud commence à circuler et à se propager dans la jeune colonie. Quelque part, dans la grande forêt, au lac de Guatavita (près de Bogotá, en Colombie), les Indiens chibchas pratiquent chaque année une cérémonie qui excite les imaginations et aiguise les appétits: couvert de poudre d’or, le monarque s’immerge dans le lac tandis que ses sujets y jettent des trésors pour honorer le dieu Soleil. Une légende est née, celle de l’Eldorado (l’homme doré).
Parmi ceux qui entendent cette histoire, un certain Francisco Pizarro, officier quadragénaire et illettré. Il n’a rien à perdre et du courage à revendre. Retrouver l’Eldorado va devenir son obsession. Elle le mènera jusqu’au Pérou.
Douze ans plus tard et après deux échecs, à la tête de 260 soldats (200 fantassins et 60 cavaliers) débarqués sur le littoral pacifique, il traverse la cordillère des Andes et se présente à Cajamarca, au nord du pays. Face aux conquistadors, une marée humaine, l’armée de l’Inca Atahualpa: 20.000 hommes, des archers, des lanciers, des frondeurs. Dieu vivant, Atahualpa règne alors sur un empire de 4 millions de kilomètres carrés et de 15 millions de sujets (1). Intouchable et invicible, pense-t-il. De fait, les Espagnols n’en mènent pas large. Lors de leur progression, ils ont appris ce que les Incas font subir aux vaincus: la peau des ennemis sert à fabriquer des tambours et leur crâne à confectionner des coupes à boire. Mais au point où ils sont arrivés, pas question de faire marche arrière. Et leur chef, admirable de volonté, n’est pas homme à reculer. Tout va se jouer sur un coup de poker, un guet-apens soigneusement organisé par Pizarro sur la place de Cajamarca. En moins d’une demi-heure, Atahualpa est capturé et ses troupes sont en fuite. Plusieurs centaines de morts côté Incas ; quelques écorchures chez les conquistadors.
La cité de Pisac, au sud de la vallée des Incas.
La supériorité des armes (arquebuses), le professionnalisme des Espagnols (aguerris par la lutte contre les Maures lors de la Reconquista), la présence de chevaux (inconnus des populations précolombiennes) n’expliquent pas tout. En 1532, l’empire du Soleil est un colosse aux pieds d’argile, miné par une guerre de succession entre Atahualpa et son demi-frère Huáscar, l’héritier légitime. Une société pyramidale et autocratique (2) qui suscite des rancœurs chez les peuples vassaux, dont certains (comme les Canaris) se rallient immédiatement et ouvertement aux envahisseurs, vus comme des libérateurs. Quant à l’architecture cyclopéenne qui fascine aujourd’hui le voyageur au Machu Picchu et dans la Vallée sacrée (Pisak, Ollantaytambo), il faut imaginer son coût humain. On estime ainsi qu’il fallut soixante-dix ans et 30.000 ouvriers permanents pour édifier la forteresse de Sacsayhuaman, sur les hauteurs de Cuzco. Huayna Capac, le père d’Atahualpa, justifiait ainsi ces travaux pharaoniques: «À défaut d’autres occupations, que le peuple transporte une montagne d’un endroit à l’autre. De cette façon, la paix régnera dans le royaume.»
Le prisonnier Atahualpa comprend vite que ses adversaires ne se battent pas uniquement pour répandre la parole du Miséricordieux Rédempteur (d’ailleurs, il n’a que mépris pour ce dieu qui s’est laissé crucifier) et accroître la gloire de Sa Majesté Très Catholique, Charles Quint. Il passe donc un marché avec Pizarro (contrat enregistré devant notaire !) : la vie sauve contre une rançon en or et en argent. Autant que peut en contenir jusqu’à hauteur d’homme la pièce de 30 mètres carrés dans laquelle il est enfermé. Pour les Incas, l’or (symbole du soleil) et l’argent (celui de la lune) ont une valeur sacrée, pas marchande. Des émissaires sont dépêchés aux quatre coins de l’Empire et, en quelques mois, ils rapportent cinq tonnes d’or et dix d’argent. Une partie du métal – le cinquième du butin – est fondu puis monté dans des galions qui repartent vers l’Espagne.
Le reste est partagé entre les conquistadors qui, ne sachant qu’en faire, dilapident cette subite fortune en parties de cartes ou au jeu de dés. Valeureux guerriers, désastreux banquiers. En tout cas, pour eux, aucun doute n’est permis : l’Eldorado existe et ils comptent bien en extraire le maximum de richesses. Oublié l’homme doré, voici le pays de l’or… Au terme d’un procès inique et sordide, qui indigna (brièvement) jusqu’à Charles Quint, Atahualpa est finalement condamné, puis garrotté. Pizarro le remplace par son frère Manco Capac II (parfois appelé Manco Inca) et fonce vers la capitale Cuzco, où il fait son entrée en novembre 1533. Le spectacle est à la hauteur de ses rêves. Avec ses 100 000 habitants, c’est une cité à l’urbanisme avancé (rues pavées et adduction d’eau), aux constructions impressionnantes (3), réparties autour de Coricancha, le temple du Soleil. Une enceinte de 400 mètres, plusieurs palais recouverts de corniches et de bandeaux d’or, dont on peut voir les vestiges dénudés dans l’actuel couvent Santo Domingo. Dans le jardin adjacent, la réplique en or (et en taille réelle) de chaque espèce animale de l’Empire inca, du condor au lama, ainsi que des plantes qui y poussent. Cette vision déclenche un pillage dantesque, à en croire le chroniqueur León-Portilla : «Se bagarrant, se battant entre eux, chacun essayant de s’accaparer la part du lion, les soldats encore vêtus de leurs cottes de mailles piétinaient les joyaux et les icônes, aplatissaient les objets d’or à l’aide de marteaux pour les réduire à des dimensions plus transportables. Ils jetèrent tout l’or du Temple dans un grand chaudron pour en faire des lingots: les plaques qui recouvraient les murs, les magnifiques représentations d’arbres, d’oiseaux et d’autres objets.»
Devant ces excès et ceux qui suivirent (4), le docile Manco Capac II décide de se rebeller. En 1536, il rassemble une armée, qui est défaite à Sacsayhuaman. Il collecte alors tout ce que les conquistadors n’ont pas encore dérobé. On parle de 10 000 lamas chargés d’or sous toutes ses formes (5). Une colonne qui traverse la cordillère au niveau de Vilcabamba et s’enfonce après dans l’Amazonie. Là, il fonde une cité-refuge, base arrière de la guérilla anti-espagnole. Baptisée Vilcabamba (par les Espagnols) ou Païtiti (par les autochtones), cette ultime version de l’Eldorado n’a jamais été retrouvée. Ce n’est pas faute d’avoir été cherchée. Pendant tout le XVIe siècle, les explorateurs se succéderont : Jiménez de Quesada, Francesco de Orellana, Sebastián de Belalcazár, l’Anglais Walter Raleigh… Des odyssées fiévreuses et mortelles (des 800 hommes de Quesada au départ, il n’en restait plus que 166 au retour), dont Werner Herzog – servi par l’hallucinant et halluciné Klaus Kinski – restitua la folie dans son film Aguirre, la colère de Dieu.
Machu Picchu, le mystère demeure
La cité perdue des Incas ! C’est aussi ce qui attire Hiram Bingham à Cuzco, en 1911. Sous l’égide de l’université Yale et de la National Geographic Society, l’archéologue américain tente de reconstituer le chemin parcouru par Manco Capac II dans sa fuite. Il remonte la vallée de l’Urubamba avec ses mules et son matériel. Les Péruviens qu’il rencontre évoquent des ruines, citent des noms, jamais les mêmes : Vilcabamba, Choqueqirao, Viticos… Bingham n’a jamais identifié le mythique refuge du dernier Inca ni déniché ses trésors secrets. Mais il a exhumé de la forêt vierge, à 2 700 mètres d’altitude, cette huitième merveille du monde qu’est le Machu Picchu.
Un siècle plus tard, alors que les autorités péruviennes célèbrent avec faste cette découverte (une manne touristique), le mystère reste donc intact. Mais il continue de susciter des vocations. A Cuzco, en juillet dernier, nous avons rencontré le Français Thierry Jamin, qui terminait les préparatifs de son expédition Inkari 2011. Voici vingt ans qu’il arpente la région, sur les traces de Païtiti. Sans succès. Cette fois-ci, se fiant aux témoignages des Machiguengas (tribu de l’Amazonie péruvienne), il croit être sur la bonne piste : «Ce n’est pas l’or qui m’attire. Ça, c’est plutôt la motivation des huaqueros (les pilleurs de tombes, ndlr). Retrouver Païtiti, c’est résoudre nombre d’énigmes liées à la civilisation inca, notamment sur leur système d’écriture. Bref, c’est le Graal des archéologues.» Graal, Eldorado? Ce qui compte, ce n’est pas le but, c’est la quête… (Le Figaro-20.08.2011.)
voir vidéo: cité Incas
(1)Tahuantinsuyu, ou «L’empire des Quatre-Parties», dont la capitale était Cuzco («le nombril»), centre politico-religieux où se rejoignaient toutes les routes et où résidait la noblesse.
(2)On pratiquait massivement la déportation des populations asservies afin de tuer dans l’œuf toute rébellion.
(3)Des blocs de plusieurs tonnes, assemblés sans mortier ni ciment, parfaitement ciselés et ajustés (à tel point qu’on ne peut glisser une aiguille dans les jointures) alors que les Incas ne connaissaient pas le fer. Inclinés vers l’intérieur et munis d’ouvertures (fenêtres et portes) trapézoïdales, les murs pouvaient résister aux séismes.
(4)Comme frappés d’une malédiction ou plus simplement par avidité et cupidité, les conquistadors s’entre-tuèrent, entre factions rivales: pizarristes contre almagristes (partisans de Diego deAlmagro, le plus ancien compagnon de Pizarro). Promu marquis et devenu gouverneur, Pizarro lui-même fut assassiné par une vingtaine de spadassins en 1541. Son corps repose dans le mausolée de la cathédrale de Lima.
(5)Sachant qu’un lama peut porter 30 kilos en moyenne.
Pérou, le carnet de voyage
AVANT DE PARTIR
Maison des Amériques latines, 3,rue Cassette, 75006 Paris (01.53.63.13.40; www.maisondesameriqueslatines.com). Aucun visa n’est demandé pour le Pérou. Une carte de séjour valable trois mois est remise à l’arrivée. Il faut la conserver soigneusement car elle est demandée dans les hôtels et à la sortie du pays.
COMMENT Y ALLER?
Depuis le mois de juin, Air France (3654; www.airfrance.fr) propose cinq vols directs pour Lima par semaine, au départ de Roissy. A partir de 1100€ l’aller-retour.
ORGANISER VOTRE SÉJOUR
Voyageurs du Monde, 55,rue Sainte-Anne, 75002 Paris (0.892.23.65.65; www.vdm.com) organise plusieurs circuits dans et autour de la Vallée sacrée:
«Choqueqirao, un trekking à Cuzco». 9 jours à partir de 2250€.
«Aventure dans les Andes». 15 jours à partir de 2750€ (avec séjour au lac Titicaca).
SE LOGER
À Cuzco:
Hotel Monasterio, calle Palacios136, Plazoleta Nazarenas, Cuzco (00.51.84.60.4000; www.monasterio.orient-express.com). Un monastère Renaissance transformé en hôtel de luxe. Colonnes, cloîtres et chants grégoriens en bruit de fond. Tableaux de maîtres (d’époque) en prime dans les couloirs et les chambres. A partir de 280€ par personne et par nuit en chambre double.
Inkaterra La Casona, plaza Las Nazarenas113,Cuzco (00.51.84.23.4010; www.relais.com/inkaterra). Onze (superbes) suites dans une vieille maison coloniale bâtie par les premiers conquistadors. Appartient à la chaîne Relais &Châteaux. A partir de 280€.
À Agua Calientes:
Inkaterra Machu Picchu Pueblo Hotel, KM110, via Del Tren a Quillabamba, Machu Picchu Pueblo (00.51.84.21.1023; www.inkaterra.com). 85bungalows situés dans la forêt tropicale, au pied du Machu Picchu. A 20 minutes en bus du fameux site, dans un cadre luxuriant et préservé. A partir de 290€ par personne et par nuit (en demi-pension).
SE RESTAURER
Chicha, calle Plaza Regocijo261, 2eniveau, Cuzco (00.51.84.24.0520; restaurantechicha@gmail.com). Cuisine locale (alpaga et cochon d’Inde pour les amateurs) de haute qualité. Compter 30€ par personne.
Cicciolina, Triunfo393, 2eniveau, Cuzco (00.51.84.23.9510). Etablissement animé qui propose, au choix, un menu à la carte ou une formule de tapas. A partir de 20€.
À LIRE
Les Incas, peuple du soleil, de Carmen Bernand, Gallimard. De l’épopée de Pizarro à l’ultime révolte de Tupac Amaru, l’ethnologue et anthropologue Carmen Bernand nous fait ici revivre le destin tragique du peuple inca. Magnifiquement illustré.
Au royaume des Incas, par Siegfried Huber, Plon. Publié en 1954, ce livre sans concessions au politiquement correct rétablit quelques vérités sur les Incas (la pratique des sacrifices humains ou les déportations de populations, notamment) et réhabilite- sans les excuser- les conquistadors, trop souvent assimilés à des reîtres sanguinaires, cupides et obtus. La réalité fut plus complexe…
Et pour ceux qui veulent aller plus loin dans la quête des mythes, cet ouvrage programmé pour la mi-octobre:
Dictionnaire des pays et lieux mythiques, sous la direction de Olivier Battistini, Jean-Dominique Poli, Pierre Ronzeaud et Jean-Jacques Vicenzini, collection «Bouquins», Robert Laffont. Un lieu associé à un mythe: réalisé avec le concours de 172chercheurs de toutes nationalités, il s’agit d’une odyssée érudite et inédite dans le tréfonds de nos âmes.
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