Une Chine de carte postale

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 SUR LES TRACES DE MARCO POLO (7) – Repéré et apprécié par le grand Khan, Marco Polo devient son homme de confiance. Pendant dix-sept ans, il sillonne l’empire du Milieu pour le compte du souverain mongol. Des missions qui lui font notamment découvrir la Chine du sud-est, sa finesse et sa beauté. (Le Figaro-Mag.20.08.2010.)

coeur- L’un des grands mystères liés à Marco Polo n’a jamais été élucidé: qu’a-t-il fait pendant les dix-sept ans de son séjour chinois, de 1274 à 1291? Prolixe sur les contrées et les peuplades qu’il a vues, il est discret, voire secret, sur ses activités personnelles. En lisant entre les lignes, on suppose qu’il fut une sorte d’envoyé spécial, d’ambassadeur extraordinaire de Kubilay Khan. Agé de 20 ans, débrouillard et polyglotte (1), il est curieux de tout. Cela tombe bien: l’empereur mongol aussi. Pour des raisons différentes. Marco veut connaître ce nouveau monde ; le grand Khan veut savoir ce qui s’y passe. Conjonction d’intérêts et affinités électives. Les annales officielles mongoles yuan sse mentionnent à deux reprises le nom d’un «Po-lo», comme «enquêteur-privé», puis «envoyé-adjoint». L’œil de l’empereur, son homme de confiance…

À Tongli, près de Suzhou, le temps semble s'être arrêté. Une chine médiévale et féérique.
À Tongli, près de Suzhou, le temps semble s’être arrêté. Une chine médiévale et féérique.

 

En tant que tel, Marco Polo sillonne les provinces conquises par son maître: le Tibet, le Yunnan et, surtout, la Chine du sud. Là, le royaume Song vient juste de s’incliner devant les armées mongoles. Pour administrer cet immense territoire, Kubilay ne peut se fier aux Hans, rétifs à l’ordre nouveau. Il leur préfère les se mu, les étrangers, à savoir des Arabes, des Persans, des Ouïgours, et même des Européens comme notre Vénitien. Nous sommes au pays de la soie, des rizières et des salines. Autant de richesses transportées jusqu’à Pékin via le Grand Canal (2), une artère commerciale longue de 2 000 kilomètres. Il s’agit d’y maintenir l’activité économique et la stabilité politique. C’est ainsi que Marco Polo se voit promu gouverneur de Yangzhou, chef-lieu du Jiangsu, où

La ville se situe à la jonction entre le Grand Canal et le Yangzi Jiang, «le plus grant flun qui soit au monde» et «qui va si loings et par toutes pars et par tant de citez que nulz ne le vous porroit dire». Au XIIIe siècle, Yangzhou est d’une importance stratégique, car «on y fait harnois de chevaliers et d’ommes d’armes en grant quantité». Aujourd’hui, elle vit essentiellement de l’industrie du jouet: 40% des ours en peluche made in China y sont fabriqués. Une reconversion qui illustre, s’il en était besoin, les extraordinaires facultés d’adaptation du Chinois, darwinien invétéré.

Ironie de l’histoire, c’est au musée de la Culture bouddhique, dans l’ancien temple Tianning, et donc chez ces «ydolastres» qu’il n’aimait guère, qu’on entretient le souvenir de Marco Polo! Une salle est entièrement dédiée à «celui qui fut gouverneur de Yangzhou de 1282 à 1284». Revu et corrigé par Marx et Mao, il y est présenté comme «le porte- drapeau de la coopération et de l’amitié entre les peuples». Un lion de bronze, réalisé par un sculpteur contemporain et inspiré (très librement!) par ceux de la place Saint-Marc, a été offert au musée en 1987 par la municipalité de Venise. Massif à défaut d’être gracieux, il monte la garde devant l’autel polien, la Bible sous sa patte droite. Rcuménisme, œcuménisme, quand tu nous tiens…

A Suzhou, le jardin du Maître des filets est l'archétype du paysagisme à la chinoise.
A Suzhou, le jardin du Maître des filets est l’archétype du paysagisme à la chinoise.

Les missions assignées à Marco Polo le conduisent plus au sud, vers les deux villes-phares de la région: Suzhou et Hangzhou. «Au ciel, il y a le paradis, sur terre, il y a Hang et Su», dit un proverbe chinois. Métropole de 8 millions d’habitants, dotée d’une gare aux dimensions mussoliniennes, Suzhou a quelque peu pâti de l’urbanisme et de la modernité. Seul le centre de la ville conserve les canaux qui lui ont valu naguère le qualificatif de «Venise de l’Orient». Marco Polo, avec l’exagération qui le caractérise en matière de chiffres, y recense 6 000 ponts, «trestous de pierre», si hauts «que bien passeroit dessous une bien grant galie». En vérité, il y en a environ 300, dont le vieux pont Wumen, en dos d’âne, suffisamment élevé en effet pour laisser passer une galère.

Rue piétonne de Hangzhou.
Rue piétonne de Hangzhou.

L’auteur du Devisement ne mentionne pas la splendeur des jardins de Suzhou puisqu’ils lui sont postérieurs. De purs chefs-d’œuvre d’époque Ming ou Qing, dont les seuls noms font rêver: le jardin de la Politique des humbles, le jardin du Pavillon des vagues azurées, le jardin du Couple retraité, le jardin du Maître des filets. Ce dernier, conçu par un haut fonctionnaire passionné de pêche (d’où le nom), est l’archétype du jardin chinois. Un décor pour miniaturiste, où chaque détail contribue à l’esthétique et à l’enchantement de l’ensemble. Avec un lac central, un labyrinthe d’allées et des pavillons, il obéit aux trois règles du paysagisme classique: dissimulé (angles et cloisons), emprunté (miniponts, rochers et arbustes), encadré (par des murs).

Le quartier des plaisirs à Hangzhou, vile des intellectuels et des hédonistes.
Le quartier des plaisirs à Hangzhou, vile des intellectuels et des hédonistes.

Si la réputation de Suzhou est quelque peu usurpée, celle de Hangzhou est amplement méritée. L’ancienne capitale des Song (3), à laquelle Marco Polo consacre deux copieux chapitres et qu’il appelle «la cité du ciel» (Qinsay), est un joyau placé dans un écrin de verdure. Au Moyen Age, Hangzhou compte déjà 1,5 million de personnes, dix fois plus que Venise! De quoi épater l’Italien qui y relève plusieurs innovations: les bains publics, les rues pavées de pierre, l’inscription obligatoire du nom des habitants, ainsi que du nombre des esclaves et des animaux (informations utiles au recensement et à la fiscalité!). Mais ce qui le subjugue, comme nous aujourd’hui, c’est le lac de l’Ouest (Xihu) (4), à la magie intacte: «Tout entour ce lac si a moult biaux palés et de belles maisons, et si desmesureement belles et si riches que plus ne porroient estre.» Des lieux voués aux plaisirs: «Quant l’en voloit faire grans noces ou aucune grant feste, si aloient a ces palés et y faisoient leurs festes.»

À Tongli, petite Venise chinoise, on pratique toujours la pêche au cormoran dans les canaux.
À Tongli, petite Venise chinoise, on pratique toujours la pêche au cormoran dans les canaux.

Célébrée par les poètes et magnifiée par les peintres, Hangzhou était la résidence préférée des artistes, des érudits et des hédonistes. Comme pour les jardins de Suzhou, la toponymie constitue à elle seule une invitation au songe: île des Trois pagodes reflétant la lune, pont de la Ceinture de jade, Reste de neige sur le pont brisé, Début du printemps sur la digue de Su, etc. Toute l’année, mousson ou pas, les bateaux du lac de l’Ouest sont remplis de touristes chinois, littéralement aux anges, qui mitraillent ce décor de carte postale avec leurs appareils photo. Ils s’émeuvent devant le tombeau de Su Xiaoxiao, une courtisane du VIe siècle morte de chagrin à la suite d’amours contrariées. Ils s’extasient devant l’étang de la Carpe rouge (où pullulent des milliers de carpes nourries ou plutôt gavées par les humains, car ce poisson est censé porter bonheur). Ils admirent les rives bordées de saules, de pruniers, de pêchers, de bambous et de fleurs de lotus.

Entre deux visites, ils se régalent dans les restaurants huppés comme le Lou Wai Lou. A Hangzhou, on se targue de manger «tout ce qui marche, rampe, nage ou vole». Une particularité gastronomique notée par Marco :

Il est vrai que le «Chrétien» a souvent tendance à hésiter devant certains mets, comme les holothuries, invertébrés plus connus sous le nom de concombres de mer. En revanche (et heureusement), le chien est désormais absent des menus. Même si, nous a-t-on assuré, quelques adresses en proposent en hiver parce que «sa chair est calorigène»…

On se lasse de tout, et pas seulement de la nourriture. Au cours de ces dix-sept années d’exil, le mal du pays n’a pas dû épargner Marco Polo, son père et son oncle. L’hospitalité du grand Khan était aussi possessive qu’intéressée. Et donc pesante. L’occasion de rentrer en Europe se présente en 1291 lorsque des émissaires de l’Ilkhan de Perse, Arghun, viennent demander une épouse de sang royal à Kubilay. Celui-ci accède à la requête et charge les Polo d’accompagner une princesse mongole jusqu’en Iran. Depuis Homère et L’Odyssée, on sait que, d’une manière ou d’une autre, c’est toujours pour une femme qu’on finit par rentrer au port. Le voyage à travers la mer de Chine et l’océan Indien ne fut pas de tout repos, à en croire le Devisement. Sur les 600 personnes embarquées à Quanzhou, seules 18 survivront (dont les Polo et la princesse) à la traversée jusqu’à Ormuz! Et il faudra attendre 1295 (quatre ans) pour que Marco revoie enfin sa Venise natale. Mais cela est une autre histoire…

Le pont des Cinq pavillons, sur le «lac étroit de l'Ouest», Yangzhou, ville dont Marco Polo fut gouverneur pendant trois ans.
Le pont des Cinq pavillons, sur le «lac étroit de l’Ouest», Yangzhou, ville dont Marco Polo fut gouverneur pendant trois ans.

(1) Le Devisement du monde indique que, outre l’italien, il pouvait lire quatre langues. Il s’agit probablement du grec (utilisé dans les comptoirs familiaux de Constantinople et Soudak), du mongol, langue officielle de l’empire, du persan et de l’ouïgour.

(2)Avec la Grande Muraille, le Grand Canal est le second ouvrage pharaonique de l’empire du Milieu. Il relie Pékin à Hang zhou, dans la province du Zhejiang. Commencé au Vesiècle avant J.-C., il fut prolongé et achevé par Kubilay Khan au XIIIe siècle.

(3) Entre 1138 et 1279, date de sa prise par les Mongols.

(4)Un plan d’eau de 8 km2 , créé au VIIIe siècle et constamment réaménagé, perfectionné, embelli. C’est l’endroit que chaque Chinois rêve de visiter en priorité une fois dans sa vie.

CARNET DE VOYGAE

Formalités

Le service consulaire de l’ambassade de la République populaire de Chine délivre un visa tourisme valable 3 mois. Compter un délai de dix jours pour l’obtenir.

Organiser le séjour

La Maison de la Chine, 76, rue Bonaparte, 75006, Paris (01.40.51.95.00) organise un circuit de 21 jours intitulé « Toute la Chine», à partir de 4 560€ TTC. Spécialement étudié pour une première rencontre avec l’empire du Milieu. Vol Paris-Pékin, retour de Hongkong. Parmi les sites et les villes au programme: Pékin, Taiyuan, Pingyao, Xian, Suzhou, Tangyue, Tunxi, Nanping, Chengdu, Hangzhou, Guilin et Hongkong. Tarif incluant tous les transports, les taxes aériennes, la pension complète (sauf 5 repas), les visites et les spectacles, le service des guides locaux et l’accompagnement par un sinologue. Prochain départ le 8 octobre.

Comment y aller ?

KLM Royal Dutch Airlines propose un vol aller-retour Paris-Amsterdam-Hangzhou à partir de 450€ (hors taxes aériennes). Tarif valable jusqu’au 31 octobre.

Se loger

A Hangzhou: Lily Hotel, 156, Shuguang road, Hangzhou. Très bien situé, à un kilomètre du lac de l’Ouest. Hôtel moderne avec piscine. A partir de 70€ la chambre simple.

A Suzhou: Garden Hotel, 477, Liuyuan road, Suzhou Construit dans le style propre à la ville, avec un jardin et des bassins classiques. De 70 à 180€.

Se restaurer

A Hangzhou:Lou Wai Lou, 30, Gushan road, Hangzhou. Le meilleur restaurant de Hangzhou. Tous les caciques chinois, de Chou En-Lai à Jiang Zemin, y sont passés, ainsi qu’en attestent les photos sur les murs. Un décor de palais, un menu de seigneur aux noms évocateurs: poulet vagabond drapé dans sa feuille de lotus, anguille braisée aux pousses de bambou, poisson du lac de l’Ouest à la sauce vinaigrée… Compter un minimum de 30€ par personne.

A Yangzhou: Fuchunchashe, 35, Desheng Qiao, Guoqing Lu, Yangzhou Réputé pour son «banquet des trois têtes» (qui doit être réservé à l’avance): tête de carpe, tête de porc (entière et désossée), tête de lion (en fait, des boulettes de viande farcies). Entre 20 et 60 €, selon les plats commandés.

Ne pas manquer

A Hangzhou: la rue piétonne Qinghefang Gujie offre une promenade dépaysante: théâtre à l’ancienne et camelots en tout genre. Il faut absolument y visiter le musée de la Médecine chinoise Hu Qingyu Tang, magnifique établissement toujours en activité (pharmacie et dispensaire). Les remèdes chinois ne laissent pas d’étonner: vers à soie séchés pour décoction et présentés comme des confiseries en boîte, racines de ginseng pouvant atteindre 1 000€ l’unité, pour les notables chinois à libido déclinante…

A Suzhou: le jardin du Maître des filets, archétype du jardin à la chinoise: étang central, ponts, canaux, pavillons, paravents. Le tout harmonieusement disposé dans un espace retreint.

Que rapporter?

De Hangzhou: Au musée du Thé, où est retracée l’histoire de cette feuille, on trouve toutes les variétés possibles de thé, dont le fameux longjing (puits du dragon), ainsi que les accessoires nécessaires au rituel chinois de la dégustation.

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4 réponses à “Une Chine de carte postale”

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