la jalousie des abeilles…6- et un temps pour réver
31072007
Un proverbe à Nédroma dit : « Quand l’estomac est rassasié, il demande à la tète de chanter ». Après le bon repas du soir, au mariage, le tour était venu pour la soirée musicale. On avait aménagé la terrasse à cet effet : une scène pour le groupe musical, un coin pour les hommes âgés aux meilleures places avec les invités de marque, le plus grand nombre de chaises pour les jeunes et les copains du marié, enfin tout à fait au fond, un endroit réservé aux femmes et séparé par une tenture ; elles peuvent, la tête recouverte d’un châle ou d’un foulard, écouter les chansons au même titre que les hommes et regarder les jeunes danser. Dans un coin à l’écart, le cafetier s’affairait autour des réchauds à gaz, pour la préparation des boissons chaudes, il était entouré de bouilloires, de théières brillantes par leur couleur or, de cafetières, de thermos, de plateaux en cuivre ou en argent, blancs et jaunes, avec des verres ou de tasses à café par douzaines. Quand l’orchestre entama le premier morceau de son répertoire, il fut salué par des youyous joyeux et encourageants. Puis, silence ! On se tait, on cesse de parler…Place à la musique et à la chanson. C’est un moment de rêve et de poésie. La fébrilité d’avant s’est estompée. Maintenant, on écoute…on apprécie. On attrape au vol certaines paroles de la chanson, magnifiquement interprétées par le chef d’orchestre. On se laisse bercer par la musique qui retient l’attention de tout le monde et qui transporte l’auditoire vers des situations diverses, tantôt vers la joie et la gaité, tantôt vers la mélancolie, tantôt vers la méditation. On est envouté… le cœur arrosé d’émotions diverses. Les soirées musicales à Nédroma sont très belles, inoubliables, elles durent jusqu’au petit matin, dans une ambiance familiale, conviviale, fraternelle, pleine de charme. Ce qui revient le plus souvent dans le répertoire de l’orchestre, c’est le « haouzi » et « l’andalou », deux genres préférés des Nédroumis, agrémentés de temps à autre, par des chansons modernes, pour satisfaire tous les goûts. Les instruments utilisés généralement se composent du luth( el-oùd), le cœur vibrant de la musique andaloue, le mandole, le violon, le tambourin et le « e’tar ». Parfois, il y a encore la flûte ( En-ney) qui ajoute une mélodie romantique, la mandoline, le banjo et R’bab, un instrument original et rare. Il faudrait dire aussi que le synthétiseur s’est imposé chez les groupes modernes.
D’une extrême beauté lyrique
Mais ce qui domine dans cette composition, ce sont surtout les instruments à cordes qui correspondent le mieux à l’andalou. Au delà de cette musique qui peut paraitre aux yeux de certains, anachronique ou dépassée, il y a surtout la poésie des textes écrits par des éminents auteurs, et qui sont restés depuis des siècles, d’une extrême beauté lyrique. L’essence de la musique soufie est spirituelle. Ses sonorités ont le pouvoir de pénétration dans l’âme ; et sa prodigieuse richesse, comme poésie, permet de la sentir avec plusieurs nuances différentes. C’est une musique de méditation, c’est une invitation au voyage intérieur, une écoute et une saveur de l’être. Ce fut alors un large éventail de chansons mélodieuses, avec des textes évoquant la beauté de la nature et de ses subtilités, l’amour et la joie de vivre, ainsi que celle d’aimer et d’adorer Dieu, accompagnés d’une musique lente au début, mais qui s’emballe au fur et à mesure que se succèdent les genres et les rythmes. L’orchestre avait entamé la soirée avec un « istikhbar » tel : « bismallah bdit »… an nom de Dieu, j’ai commencé, puis : « chams el aàchya »…(le soleil du soir)… « quom tara »…(lève-toi, tu verras), « man lam dra aàchqui »…(celui qui a fait le reproche, a été atteint par ma passion), « Ya laoun-el-assal »…(oh toi couleur de miel), « zarani el-malih ouahdou »…(le beau est venu me voir tout seul), « harramtou-bika-nouàssi »…(j’ai été privé de sommeil à cause de toi), et d’autres chansons andalouses encore parmi les plus belles. Cela avait continué ainsi jusqu’à l’aube. Bien sûr, il y eut de temps à autre, des chansons plus rythmées qui avaient permis aux jeunes de danser, mais d’une manière mesurée, en comparaison de ce qu’ils avaient fait auparavant. Avant de continuer, il faudrait peut-être revenir sur l’origine du lien entre Nédroma et l’andalou, ce genre musical qui s’est ancré et développé particulièrement dans cette cité et sa région, ainsi que dans certaines villes d’Algérie. Tout d’abord cela rappelle la province musulmane d’Andalousie, ses jours heureux, son faste et sa culture dominante à l’époque où elle était à l’avant-garde des autres cultures européennes, avec ses savants, ses philosophes, ses poètes, ses maitres , ses artistes et ses artisans qui avaient su développer une civilisation des plus brillantes et des valeurs universelles les plus élevées, comme la tolérance, la vertu, l’honneur, la piété, le progrès moral, l’amour du beau et de l’esthétique, la générosité et le partage du savoir et des connaissances, l’ouverture vers les autres sociétés, la liberté de croire, de penser et de créer.
Des liens directs avec l’Andalousie
La ville de Nédroma avait des liens directs avec cette province musulmane à l’époque d’Abdelmoumen-ben-Ali et du règne de la dynastie des Almohades. Il faut rappeler à ce sujet que l’émir nédromi, après avoir unifié l’Afrique du Nord, avait étendu son pouvoir jusqu’à l’Andalousie et la moitié-sud de l’Espagne. Des échanges multiples, commerciaux, culturels, religieux et autres, s’étaient développés ce temps-là, entre Nédroma(l’Afrique du Nord en général) et les cités andalouses. Nédroma connaitra alors un essor significatif dans tous les domaines. Cela avait duré pendant des siècles et continué jusqu’à la « Reconquista » ou la perte de la province musulmane de l’Andalousie en 1492. La Reconquista avait engendré, du fait de l’intolérance religieuse, des exécutions terribles, et un exode sans précédent des populations entières de Musulmans et de Juifs d’Espagne, vers les cieux plus cléments d’Afrique du Nord, et bon nombre d’entre eux ont trouvé refuge, soutien et fraternité humaine à Nédroma même. Il y en a encore aujourd’hui quelques descendants qui vivent dans cette ville, conservant en souvenir, la clef de leurs anciennes demeures à Grenade, à Cordoue ou à Almeria. [ voir et lire le nouveau blog: niarunblog.unblog.fr]
Par : Niar Med
Catégories : chronique
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